lundi, décembre 4 2017

Jour 4: Héroïne, chapitre I

Dans une rue déserte en pleine nuit, Ida se crut folle, elle alla retourner chez elle quand la boule de poil revint et courut au loin. C’est qu’il courrait vite l’animal !

Pieds nus, elle courrait sur le macadam à travers la ville à la poursuite de… à la poursuite d’un lapin ?

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dimanche, décembre 3 2017

Jour 3: Le chaudron magique

Elle déambula dans les rues glacées avant de tomber dans la rue où les bars se faisaient concurrence et formait un quartier entier. Comme une entité à l'intérieur d'une ville. Un endroit qui s'éveillait le soir et où la population allait pour noyer sa vie dans les boissons ou simplement pour faire la fête.

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Jour 2: Un fil dans un rouage

Sous l’éclat orangé du soleil, les immeubles de fer rouillé, les rouages interminables et autres machineries qui faisaient tourner la ville, étaient mis à vif tel un squelette fait uniquement de briques, de terre, de fer et de rouille. Sa peau était rongée par l’iode qui emplissait l’air. Ses veines électriques étaient apparentes et circulaient partout dans la ville pour ravitailler constamment ce corps mécanique en énergie.

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Calendrier littéraire Jour 1: La sorcière de l'infini

Un sourire étira la commissure des lèvres sèches de la jeune femme. Il était étrangement appréciable de humer la crainte qu’elle inspirait

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lundi, février 20 2017

Mais bon sang ... Qui est Rosa Parks ?

Le mois dernier, moi, Ruben Melconyk, écrivain à succès, j'avais annoncé à la présentatrice de l'émission littéraire "Etoile ta culture" que je ne serai pas présent sur le plateau quelques heures avant le début de l'émission. La présentatrice, Albane de Trépanel, me concocta une vengeance qu'elle doit désormais regretter.


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Digression autour d'un thème mal défini

Le mois dernier, moi, Ruben Melconyk, écrivain à succès, j'avais annoncé à la présentatrice de l'émission littéraire "Etoile ta culture" que je ne serai pas présent sur le plateau quelques heures avant le début de l'émission. La présentatrice, Albane de Trépanel, me concocta une vengeance qu'elle doit désormais regretter.


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samedi, juin 4 2016

Le peuple des étoiles

L’Afrique est notre mère à tous, Abou y est né, dans le désert du Sahara. Ici pas de dessert, tout y fond tant le soleil brille. Une marche longue pénible l’attend tous les matins, c’est son école de la vie, imaginez qu’avant que la robe de l’aube lève son voile et brûle votre peau des pieds au visage, il enfile sa tunique qui le protège comme cette huile à l’indice solaire de plus de cinquante. Pendant cette marche toujours le même refrain, non il ne connaît pas le jazz de ses voisins Africain, et encore moins celui du film de Jim Jarmusch « Brookeen flower's » et sa bande son culte, celle d'un musicien Ẻthiopien Monsieur Mulatu Astatke, il marche sous un soleil chaud, très chaud, plus chaud qu’une frite. sa petite pensée en vadrouille dans son univers que le titre abstrait « Yekermo Sew » aussi virtuose qu'improbable venu d'un pays célèbre pour ses crèves la faim, et pourtant une musique somptueuse qui rendrait le pas de danse d'Abou lorsqu'il se déplace sur le sable plus léger encore que la brillante caisse claire de ce groupe improbable, qui illustrerait bien le confort mental de ce jeune seigneur du Sahara. Mais n'oubliez pas que cet enfant du désert, fils du ciel et de sa poésie cultivé à la fois comme un jardin unique par les marins et les Touaregs ne connaît pas le cinéma, Alors lui pour oublier les difficultés du désert, il pense à la mer qu’il n’a jamais vue, et s’invite dans les Histoires que son oncle Féhed, un grand voyageur, rapporte et colporte au vent des oreilles attentives de l'adolescence. Un gentil petit bonhomme, à l’esprit vif et curieux qui est né dans le monde des rêves sur notre Terre, un quinze avril 2003. Son père lui a dit un jour, il s’en souvient : Tu es né sous le signe des étoiles, notre peuple se guide par la carte du ciel, et toi mon fils, tu es né sur Neptune et tu es un poisson, le ciel me l’a dit, le Tropique du Cancer. Abou n’avait rien compris. Ce souvenir était vague telles les dunes qu’il parcourait avant la rocaille et la récompense de s’asseoir sous un arbre à l’oasis où il s’arrêtait pour l’eau et l’ombre aussi douce que le son d'un oiseau où l'éclaire de génie d'un être lunaire face cachée et solaire parfois ce Monsieur « Chet Baker » et son jeu de trompette qui flirte avec la mort. Tiens ! Une brebis manque à l’appel. Il les compte. Comme ce conte sur le peuple des étoiles, Abou a ses secrets. Ce jeune garçonnet n’a pas de montre. Midi, le zénith, le regard levé vers le soleil, sans lunettes noires, Abou sait qu’il est l’heure de trouver un palmier. Il marche là où il trouve de l’ombre, cherche la très célèbre oasis de Timimoun, un arc-en-ciel de fraîcheur dans l’Algérie, ce grand pays. Ici l’ombre d’un arbre vaut de l’or, un cours d’eau de l’argent, des brebis, du lait, et du sang froid, et Abou lorsqu’il va promener le troupeau pense Océan. Pourquoi ? Parce que Féhed, le frère de son père, raconte ses périples et lui explique les mondes, muni de ce regard bleu/vert et de l’étincelle belle et cruelle de ceux qui voyagent. Avant, les anciens Humains marchaient aussi… D’ailleurs les livres se sont écrits comme cela, certains s’occupaient de leurs champs, d’autres sur de gros bateaux naviguaient, d’autres s’occupaient des bêtes, et pour rêver, il y avait les colporteurs, des gens qui risquaient de rencontrer des pirates, des bandits sur leurs routes, et quand la lune prenait son vol, on allumait le feu. Si le toit du ciel s’allumait d’étoiles, le voyageur racontait son journal. Hier, Féhed, son oncle, lui avait parlé des tempêtes du Sud, de ces vagues plus hautes que des géants de pierre, de ces albatros aux gros ventres qui jouent en altitude, des vents ascendants et descendants, sans jamais se poser, ni se reposer. Ici, le soleil brûle les yeux ; là-bas, c’est le froid qui fait mal. Abou rêve encore de ce moment magique. Devant lui, l’immensité est ocre jaune-rouge, les dunes sont des vagues et il sait qu’ailleurs c’est l’outremer, un bleu, vert, gris, qui domine. Assis au pied d’un figuier de barbarie, un arbre immense au tronc usé, Abou n’écoute plus le son des serpents qui se cachent au cœur du sable où jouent les dromadaires. D’habitude, il ne se lasse pas de cette musique sauvage. Face à lui, chèvres et brebis boivent ce liquide rare, l’eau. L’ombre de l’arbre le protège des rayons assassins mais pas de son imagination. Abou se transporte sur l’océan, dans sa main une barre à roue qu’il tourne lui permet de diriger un trois-mâts : « Le tyrannosaure ». N’oubliez pas où il vit, je vais tenter d’expliquer sa vie. Chaque matin, Abou marche dans le sable rouge, couleur de la planète Mars, qui est un aspect particulier de son pays (l’Algérie côté Sud), la carte du monde nous le raconte, et moi je veux conter son histoire. Qui est-il ? Abou, notre petit Héros, regarde les astres qui éclairent sa route et le toit de la Terre ; se dit que ce sont des cailloux qui bougent dans les cieux. Son peuple est celui des étoiles, ils sont les seuls capables d’aller dans le désert d’Afrique faire le commerce du sel. Ses yeux sont brillants, et bouillants de curiosité, tant il est intelligent, si curieux de tout, qu’il en oublie la fatigue de l’aube, il enfile sa tunique de la couleur de ses jeunes yeux, bleue. En Algérie, le sable est si singulier, puisqu’il n’est pas blond « vénitien », comme les cheveux de l’anglaise « malade » qui il le sait a kidnappé Papa Pongwa, son grand-père sorcier guérisseur. Cela l’intrigue cette disparition de son grand-père, heureusement que son oncle Féhed lui raconte son passé. D’ailleurs, il a quel âge Abou ? L’enfant a douze ans. Né sous le soleil, cela vous commencez à le savoir, son histoire pourrait être simple, Abou  marche sur ce sable aussi chaud qu’une frite, pas nu-pieds, patate, c’est impossible ! De petites sandales en toile spéciale en peau de bête, pas bête l’animal ! Abou compte les étoiles, son foulard, noir, méticuleusement, il l’entoure autour de sa tête pour se protéger des coups de soleil et du froid glacial, version Ours ou étoile polaire. Où chercher des gorilles dans le ciel de cette jungle de sable brûlant ? Impossible de le croire, mais au Sahara le thermomètre descend de plus de quarante-cinq à moins d’une suite de zéros, de quoi estourbir un étourdi qui oublie son couvre-chef telle une volée d’étourneaux perdus sur l’Atlas, autre nom de la carte du monde, par un violent coup de vent, ou n’importe quel vieux chameau de touriste égaré dans ce vaste océan peuplé de légendes, et berceau de la Terre. Tous les Hommes y sont nés ! Abou aurait tant aimé connaître les personnages des histoires que l’on raconte devant le feu qui crépite accentuant les étincelles sauvages. La nuit venant aux veillées, assis parmi les grands, il écoute des contes ou des histoires, l’équivalent d’un journal, ou d’un grand livre, et Abou apprend les traditions de son grand désert qu’est le Sahara, si grand. Cinq mille kilomètres qui vont de l’Atlantique à la Mer rouge, cette steppe, autre nom du désert, n’a nulle frontière en son centre, les anglophones, ceux qui parlent l’anglais appellent cela un no man’s land. Prenons, un peu de hauteur les enfants, et les grands qui oublient la géographie : savez-vous les noms des pays qui l’entourent, oui, non ? Dix pays, aux noms exotiques et fantastiques. Pour nous, francophones, de A à Z, il s’agit de l’Algérie, l’Égypte, la Libye, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Tchad, la Tunisie, et le Soudan. Le Sahara n’est pas que l’endroit où l’on a inventé la harissa, c’est aussi grand et vaste que le drapeau surnommé Stars and Stripes des Etats-Unis. Je m’explique : ce désert d’Afrique est aussi grand que les treize bandes et les cinquante étoiles de la confédération d’Amérique du Nord. Et le Sahara, lui, si on veut l’entrevoir sous une forme géométrique pour dessiner sa forme, il faut imaginer et tracer un trait, une diagonale, de terre sèche qui part d’un fleuve, celui du Sénégal, jusqu’en, écoutez bien, la Mongolie. Eh, oui, cette terre d’un peuple libre, de célèbres barbares des livres ouverts sur l’Histoire, quand nous les Humains nous cherchions encore nos territoires et les limites de la planète qui nous supporte, au propre comme au figuré, la Terre. Les Mongols, vous savez, ce sont ceux qui ont des chevaux et les cheveux au vent dans leur grand pays. Abou, lui, connaît plus les chevreaux. Lui, il ne connaît que la chevelure de Bérénice, à gauche de la tête de Lion, pas les animaux, mais sa carte pour se situer. Son GPS à lui se sont les étoiles, la carte au menu lors de soupers au toit ouvert sur le cosmos. Abou sait, comme les marins qui naviguent à l’estime, se diriger en positionnant les étoiles, les constellations, les amas d’étoiles. La toile, le tableau du ciel, porte des noms souvent d’animaux : le Petit chien et le Grand, le Cygne, et l’imaginaire et fantasque Licorne. Au moyen âge déjà, les étoiles parlaient aux Hommes. Amusez-vous à lire une carte du ciel : quatre horizons, ça bouge le temps d’une révolution solaire. Dans l’œil de l’univers, notre toit qui bouge c’est le ciel et si votre montre donne l’heure c’est que nos planètes tournent et dansent, comme un tourne disque et l'erreur ce bout de peau qui se détache des lèvres du géant « Miles Davis «  dans l’ascenseur sous l’échafaud » du maître des salles obscures Monsieur Louis malle. Aussi ignorant en jazz et cinéma, Abou lève le regard et lit à livre ouvert toutes les informations des saisons, de l'heure, du temps, et des tempêtes comme un tourne-vent que j'invente, une sorte de barre à roue de la carte du ciel, d'instinct les touaregs savent que la planète tourne toujours dans le même sens, tenir compte des tempêtes capitaine ! Oh, cet marque de respect sur un bateau, celui qui a le dernier mot, le dernier choix et le droit de sombrer. Mais oublions ce danger de couler, et acceptons le simple fait que cet aspect régulier du système solaire fait qu’en France cette question de régularité circulaire dans l’espace fabrique la notion de temps et sa force est elle aussi juste que ce tourbillon qui ne se pose pas de question, la reine de la Nature. Le temps ne se pose pas de point « dingo » comme cet animal des terres australes, ni de point d’interrogation… Le temps, c’est l’aiguille de votre montre, Abou ne le compte pas tant il est le maître de l’école buissonnière, et nous qui sommes en Occident, peut-être par accident, la loi de régulation des planètes de notre système solaire, Jupiter, Vénus, Saturne, Lune, Terre, Mars, Mercure, nous permet de poser des saisons : l’hiver, le printemps, l’automne et l’été. Rêvons sur le sol : la jungle, les animaux du berceau de l’univers, l’Afrique donnait des noms poétiques aux constellations ou des repères pour les navigateurs sur les mers ou ceux du désert, comme la célèbre Orion. Au Nord de l’Équateur, ceux du froid polaire, souvent les navigateurs cherchent l’Étoile la plus basse celle de la Grande Ourse, et ce chariot à l’envers qui forme la Petite Ourse, sa petite sœur d’étoiles. D’autres noms rigolos hantent les cieux pour le plaisir de l’évocation de jolis paysages, mais regardez le toit du monde, l’univers si vaste, on y trouvera dans des livres les positions du roi de la jungle, le lion, le long cou de la girafe, ou les légendes venues des airs de baladins, tels la licorne, ou le dragon et son feu, si célèbre dans l’astrologie Chinoise. Les enfants, vous, moi, regardez le ciel, le toit du monde, le toit de la Terre, vous verrez qu’il bouge et s' allume comme ce slow magique de Led Zeppelin qui rend tous les cœurs joyeux, une musique aussi douce que le cœur d'un cactus. Donc, suivant les saisons, vous verrez que certaines étoiles forment des images, le petit chien et son traîneau, la célèbre croix du Sud, bien plus au Sud de l’Équateur, que tous les marins du monde connaissent pour diriger leurs bateaux, ou encore le cygne, pas ce canard qui vole, mais bel et bien un ensemble de cailloux qui lévitent et que l’on évite de justesse parfois. Au pays d’Abou, il pleut des météorites, et la pluie est si rare que les zones humides sont là pour jardiner, mais revenons à nos moutons qui d’ailleurs sont des brebis. Abou ne sait pas que la vie est délicate sous la chape de plomb qui nappe le désert du Sahara, il ne connaît pas les glaces au chocolat, ni la mousse, lui, Abou, il doit aller à l’Oasis chercher de l’ombre face à cette lumière qui rend aveugle et y trouver de l’eau pour ses bêtes et aussi pour sa famille, sa maman, qui reste dans son petit village. Originaire du pays des Maures, là où les vaches sont sacrées, d’après ce que racontent sa maman et son oncle Féhed, colporteur d'Histoires. Abou est déjà un petit garçon responsable du trésor de sa famille : les brebis. D’ailleurs, elles bêlent, belles sous le soleil, comme d’habitude ça brille, la chaleur revient dès qu’il s’élève à l’Est des montagnes et de la rocaille qui surplombe le plateau où vit sa petite famille. Son papa, lui, il lui fait confiance pour lui confier son seul chameau vers la source d’eau, et parfois Abou sur sa route croise des étoiles et des dromadaires et cette silhouette familière de son père, son foulard sans couleur offert au vent souriant sur l’un deux, car son père, évidemment, est fier de son fils. Lui part quatre jours vendre du sel. Abou le suit du regard, et reprend sa marche. Ce sont des Touaregs, des berbères, ils aiment chanter quand la nuit arrive des poésies arabes, leurs instruments, les flûtes de roseau, de curieux tambours, et leurs mains rocailleuses tel des tailleurs de pierre de granit celtes, tapent sur la peau des tbals et ripaillent : jouer, chanter, danser et taper sur les tambours, n’animent pas le bourg, ils animent le bal improvisé du soir et allument les étoiles. La carte du ciel frissonne, ses cils se plissent, la peur des serpents à plume ou non s’éloigne du camp, tant la joie résonne dans ce long désert où la pluie ne rigole pas. Je rigole de chez-moi, moi qui narre cette aventure. Je suis un Celte, et chez moi elle pleure la pluie. Abou chez lui, c’est si peu, très peu de centimètres par an. Mais cessons les métaphores, Abou est, certes, jeune et fort, et il ne connaît pas la chanson du sable chaud «  le légionnaire » de serges Gainsbourg, ni les îles de l’Océan Pacifique, pas plus que celles du ponant, mer d'Iroise, pas plus que celles de la grande et de la petite Bretagne ! Dès que l’aube lève son voile, Abou enfile sa tunique bleue, et file dès l’aube chercher le troupeau, très jeune berger du Sahara. Très vite le soleil se lève, et la vie devient pénible, ici, dans le désert, partie Sud de cette gigantesque plage sans eau de mer qu’est ce phénoménal désert d’Afrique recouvrant plusieurs pays. La liste des pays qui l’entourent est si longue qu’il vaut mieux se taire, depuis si longtemps elle sans zèle a quitté son lit, et devenu un lieu sans eau, et trop de sel, ou presque. Trêve de digression… Nous sommes mercredi, vous n’avez pas classe l’après-midi. Abou marche tous les matins, ce jeune berger accompagnant le troupeau de brebis de son père à la source d’eau la plus proche de sa maison, pieds nus, c’est un endroit qui est en terre cuite et rouge comme sa terre natale en tourbe, rectangle ou carré, sans toit et comme la Lune, on peut marcher dessus, mais même pas de paille pour se désaltérer, on dirait qu’elles sont fabriquées main, faites de bouts de ficelle, le génie de nous les Humains construire des abris et ici c’est du ciel, car il ne tombe pas de cordes, mais les tempêtes du désert sans fin… Revenons aux brebis de l'eau de mer, l’univers de ce garçon est très beau, mais aussi très difficile pour ceux qui, comme toi, n’y sont pas nés. Lors de sa marche ce sont de belles maisons traditionnelles ici qu’il croise avant de s’arrêter accompagné de son maigre troupeau. Abou passe devant des endroits, oh que c’est beau, ce vert végétal, des jardins suspendus entre terre de sang et ciel ! Par magie, des gens ont des jardins bien verts, adaptés comme lui au climat, car dans ce pays, il ne pleut pas, et Abou pleure peu. Ce fils du désert habitué à croiser des châteaux fantômes détruits par le temps semblable à un sablier que l’on renverse, grain par grain, ses joyaux d’un âge moyen s’éteignent, juste témoins aujourd’hui d’un glorieux passé, ce n’est pas cela qu’il regarde, Abou, mais le ciel au bleu de Klein. Ce monsieur est l’inventeur d’un bleu mystère comme ce ciel sans nuages, et il reste un second mystère à éclairer, la fameuse histoire de la disparition de papa Pongwa, et qui est cette jeune fille « malade ». Le bateau imaginaire d’Abou, petit voyageur immobile, est fabuleux, un Trois mâts que les anciens appellent galion. Du haut de ses douze ans dans son for intérieur, Abou rigole, ici en Afrique du Nord, son Algérie où l’on connaît le roi de la jungle que de nom, le fabuleux et si dangereux Lion d’or, savez-vous, roi de la savane, pas de vos coup pompes, est fatigué, que ce sont ses compagnes les lionnes qui chassent tuent le gibier pour leur tribu. Allez hop, on se gare, on ne se perd pas, on respire et la source de l’oasis est là, Abou dort que d’un œil car ses parents le gronderaient fortement s’il perdait une pièce de son troupeau de brebis. Un peu de verdure, pas du gazon de Wimbledon, le célèbre terrain de tennis et son tournoi magistral, non juste de l’herbe, du frais de l’herbe, bien verte car l’eau stagne ici, une sorte de lac, et pas de flamand rose ; de la luzerne, vous connaissez, une sorte de bouton d’or si sauvage qui provient justement d’Afrique, celle de nos champs, est sa cousine. Quant aux flamands, ils volent au Kenya eux, et leur rose panthère du dessin animé qu’enfant je regardais en souriant de ses multiples bêtises, le portent en parure comme en Europe certains portent fourrure et diamants. Je dérive. Pendant ce temps, notre singulier petit personnage ferme un œil, reste oie de lynx, ou d’oie tu sauras pourquoi plus tard ! et évite de dormir en rêvant de chimère. Abou aussi le ne regarde pas le grand soleil de son pays droit, et pas de lunettes aux verres teintés que vous connaissez, la plupart du temps ses yeux clignent, et justement, derrière son foulard noir du matin au soir, vous savez pourquoi, comme ce chaud est froid est régulier au Sahara, Abou ne cesse de cligner les yeux, bleu gris Océan. Son fabuleux regard s’éclaire car Abou est riche d’un monde qu’on lui raconte au son du feu qui crépite pépite du diamand du sillon d'un tourne-disque inventez votre bande-son ! Les flammes et le ciel enrichissent son imaginaire. N’oubliez jamais, les enfants que nous sommes tous, que les marins et les Hommes du désert ont un point commun de l’âge-moyen, pas dix ans, ou vingt ans, depuis que l’on compte les millénaires : au moyen âge il y a eu beaucoup de découvertes, et les mathématiques, oh il y en a qui tiquent, cette science de l’observation il est nécessaire qu’elle conserve de l’humilité, car le danger est là, ce que l’on sait aujourd’hui, on le doit au temps perdu par certains à observer, calculer, et inventer pour l’eau de mer par exemple un engin qui se nomme le sextant, il calcul l’angle d’une étoile, vers l’horizon, et définit ta position par un calcul d’angle, les touareg aussi savent se diriger en observant les formes et le placement des étoiles grâce à un livre d’or inscrit comme un diadème magnétique dans leurs têtes. Comprends-tu que deux peuples aux antipodes l’un de l’autre, ceux qui bravent la mer et ceux qui cheminent dans le désert, ce sont les anciens qui, par l’observation, la naissance de la science qui nous sert aujourd’hui, ont créé ce livre au nom barbare, les Éphémérides. Ou pour Abou le livre du secret de la danse des étoiles, ce que l’on lui conte aux veillées. Pas besoin de ride pour comprendre que l’amas de lumière, la toile d’étoile qui orne notre plafond, le ciel, et grâce à des calculs magiques et triangulaires, place exactement la position du dessin des constellations, comme la petite casserole, et l’étoile du nord, pointe extrême de la grande casserole, bon, je vous bassine là avec cette science donc silence. Où est Abou ? Dans le désert, et il sait que le sel que vend son papa vient de la mer, oh, il raconte n’importe quoi celui-là ! Et, il s’imagine sur la mer, fier tenant la barre à roue du tyrannosaure, drapeau dromadaire levé, la bordée armée, prêt à tirer l’âme Capitaine sur les voleurs des secrets du grand livre des plantes de papa Pongwa, si célèbre sorcier que des anglais on fait escale au Sénégal, on remonté un fleuve, lutté, contre la faim, la soif, pour kidnapper son grand-père. Alors Abou imagine qu’un jour il le délivrera, mais cette tempête rouspète et pète un des trois mâts, tout ce vacarme sur son navire fantôme, comme ces châteaux qui ornent la fantastique histoire des peuples de Terre, et Abou regarde l’horizon aux quatre coins de ses veines et il sait que la mer, l’Océan était ce désert, le Sahara, que d’évolution, puisque le sel que la caravane de son père, et de ses amis marchands, part vendre pas au célèbre marché de Katmandou, trop loin, eux partent de Timmoun chercher du sel, des plaques que porte le dromadaire, des dattes, du fromages sec, enfin le nécessaire vital pour qu’une famille mange à sa faim. Abou assis à l’ombre de son arbre sait cela, qu’ailleurs, il vient d’ailleurs, il vient de là, de l’Océan. Sa majesté terre du silence, le bassin aux phoques, chut, je dis une bêtise, terre des mystères et des légendes. Pays d’Ys, la ville engloutie et de son roi Gradlon ! Abou se voyait autre, voyageur de l’espace-temps, il n’arrête pas de penser… Et cette violente tempête sur l’eau s’invitait dans ses rêveries, chahutée par la cruauté de l’océan pacifique, nous allions droit au naufrage. Pourtant le bateau se comportait en héros, acceptant d’être presqu’à sec de toile, il accélérait sur chaque descente de vague, en survitesse totale. Sa proue fendait l’eau turquoise. Le bateau avançait à nu. L’allure du tyrannosaure ne faiblissait pas pour autant, et le bateau pourchassé allait plus vite. Assis au sein du carré, là où le capitaine respire et conspire pour tirer les cartes et les salves sur la bordée de canon de tribords ou de bâbords, Abou vit le hublot exploser. De suite, il comprit que le bateau sombrait, ne pas se noyer dans cette pièce obscure. Partir, sortir, aller au dehors, sentir, respirer la nature une dernière fois chanter « la mémoire et la mer » de Léo Férré. Puis, une poutre s’écrasa sur sa tête… étrange ! avant de tomber à l’eau. Abou ne reprit conscience de lui-même qu’en sentant tout à coup sous ses pieds une résistance inattendue. L’oncle Fehed s’assoit à côté de lui, et il se pique les fesses sur un cactus aux fleurs oranges. Joli réveil ! – Aie ! Abou rigole. – Dis-moi, tu ne devais pas veiller les bêtes ? – Si. – Je te dérange ? – Oh, non oncle Fehed. – Alors pourquoi tu dormais ? – Je voulais aider papa Pongwa. – Et comment ? – En le délivrant des méchants qui lui ont volé la vie. Fehed grimace. Et lui dit : – Tu ne devrais pas penser à cela. – Je ne vois pas pourquoi. – Que sais-tu de cette histoire ? – Papa Pongwa était un sorcier, et grâce à ses pouvoirs il guérissait les gens. – C’est vrai. Un jour, des étrangers sont venus le chercher. Ces hommes voulaient que papa Pongwa quitte les siens pour guérir une petite fille malade, dans son pays l’Angleterre. Alors mon père refusa de partir. Il voulait bien les aider mais un si long voyage, jamais il ne pourrait le supporter car il se sentait trop vieux, sa vigueur l’abandonnait, eux utilisèrent la force. – Et moi, je veux le délivrer papa Pongwa. – Tu es brave, Abou, sache cependant qu’il est impossible de revenir en arrière. – Si, en arrêtant le temps. – La bonne idée, tu comptes t’y prendre comment ? Abou ne sait pas, il désire connaître son grand-père autrement qu’en paroles ou en image sur ces vieilles photographies marquées par le temps. – Je trouverai. – J’ai compris, en attendant je vois que tu voyages dans ton esprit. C’est bien, les songes n’ont pas de frontières mais Abou permets-moi de te donner un conseil d’adulte. Le visage du petit n’arrive pas à masquer l’impatience de savoir, ses yeux sondent le silence. – Fais attention à ne pas quitter la réalité, certaines portes sont dangereuses à ouvrir. – Oh, aucun risque ! Fehed surpris : – Je te trouve bien sûr. Abou hausse les épaules : – Nos maisons n’ont ni portes, ni fenêtres. Son oncle se lève, scrute le ciel d’un air mystérieux, et lui dit : – Ce soir, si tu es d’accord je te parlerais d’une drôle d’aventure qu’il m’est arrivé en traversant la grande île de la Terre de feu. – Fehed, raconte ! – Je dois m’en aller mais là-bas j’ai rencontré un ami. – Ah. – Et c’était un perroquet farceur. – Il parlait ? – Petit curieux, patience, je te raconterai cette histoire ce soir. La longue silhouette de Fehed s’éloigne, bientôt elle ne sera plus qu’un petit point à l’horizon. Le désert c’est un océan de sable, peu de fleurs, quelques cailloux, et cette chaleur quasi insupportable. Abou y est né. Ces conditions climatiques difficiles, son corps les supporte mais sa tête, elle, est ailleurs. Papa Pongwa occupe son esprit, bien qu’il ne l’ait jamais vu en chair et en os. Tout ce qu’il sait c’est ce que l’on a bien voulu lui dire, Abou comble ce manque en inventant la suite de l’histoire. Sorcier et guérisseur, son grand-père possédait des pouvoirs qui impressionnaient ou faisaient peur. Certaines personnes parlaient de lui sans masquer leur frayeur à cause de cette faculté de communiquer avec les morts, les ancêtres, les sages, enfin nos racines. Il paraît qu’un feu de bois brûlait, la nuit, près de sa case, et que papa Pongwa parlait à haute voix, en transe, la fièvre au corps, le cœur ouvert, il écoutait les conseils de ceux qui savent ce que l’on trouve après la vie, les esprits célestes gardiens des couloirs du temps. Il quittait le sol, son esprit voyageait à travers l’espace. Abou pensait que ce devait être curieux à voir un homme qui parle tout seul, change de voix, d’intonation, de langues, et tremble comme une poule mouillée. Papa Pongwa n’avait nul besoin de sacrifice d’animaux, pas de cervelle de singe, de bave de crapaud ou de cou de coq, non juste une incantation, un chant venu de l’intérieur, un chant plus profond que le centre de l’univers, un son rauque qui capture les failles et s’immisce dans les sens, ensorcelant ceux qui l’écoutent. Le vieil homme guérissait, sa vertu se déguisait en chien de mer, et Abou savait par les ondes de l’air des mystères que la nuit ne laissait pas deviner ; ainsi il connaît l’histoire que Fehed conte, celle de ce lopin de terre situé sur les Cinquantièmes Hurlants, l’archipel des Kerguelen est un territoire presque vierge, peuplé par quelques scientifiques et d’une foule de pétrels et d’albatros, d’otaries, de phoques et d’éléphants de mer, de manchots royaux ou papous. Pas un arbre n’y pousse et un glacier surplombe des plaines de mousses et d’herbes folles qui enchâssent des fjords balayés par des brises glaciales tout au long de l’année. Bref, un territoire de désolation comme l’avait surnommé le Chevalier Yves Joseph de Kerguelen en 1772… Fehed parlait bien de la vie de Papa Pongwa, il le suivait sur son chemin, sa route pavée d’embûches et d’esprit saint ou guerrier. Abou dansait au firmament des étoiles chancelantes au son de sa voix, et il rêvait d’aller là où le soleil ne brûle pas, amant défunt de l’aventure, le vent absent en toiture, le petit rêvait d’aller voir l’Angleterre, cet angle sous la terre, et d’y mener des vaches sacrées dans les prés… Mais il rêvait ! Son quotidien le marquait dans la sueur de son front, son âme volait vers l’inconnu à la recherche de l’absolue vérité, une main pour demain, et des ancêtres pour aligner du sens au sang de la vie. Son oncle le savait que la désolation parfois est de partir, d’oser sortir du rang et de se retrouver seul. Ici, sur un tronc, il comptait sa toile de mouton, rose ou doré, il ne s’ennuyait jamais. Et vous ?

vendredi, juin 3 2016

Le temps d'une révolution

La télévision venait de passer par la fenêtre, je l'ouvris et regardai à l'extérieur. Rien. Un vrai miracle. Je finirai par croire que le sixième sens existe vraiment, que ce n'est pas une invention des magazines féminins, au même titre que l'horoscope.

Tout avait commencé au café : je l'avais renversé sur ses notes. Elle ne pouvait plus les lire et j'avais beau m'excuser de ma maladresse, argumenter contre sa fureur et lui dire qu'une succession de zéros est toujours mieux perçue sous un nuage de lait, elle ne me croyait pas. Je n'ai pas souvent croisé d'âne, mais Agnès portait sa colère, rose.

Fidèle à mes habitudes, je me tus et quittai la pièce, penaud. J'allai me raser pendant qu'elle essayait de laver ses copies. Je ne souhaitais surtout pas en faire une affaire de ménage. Depuis que l'eau et le gaz sont à tous les étages, une simple tache mène aux reproches, et c'est moche. Je savais que la salle de bain aspirerait toutes mes mauvaises pensées et j'avais une envie folle de douche froide. J'ouvris le robinet. Plus d'eau. C'est ainsi qu'à mon tour je me mis à râler. Au départ contre moi, puis contre mon image inversée dans ce miroir. Après tout, pourquoi ne pas se projeter dans ce monde à l'envers ?

Fuir les problèmes, jouer l'autruche, pas si facile pour un adepte de la taxinomie. Du soir au matin, je plongeais mon crayon dans ce petit pot d'encre de Chine, à la recherche de la perfection. Espoir futile, vous en conviendrez…

Comme tout le monde, je portais ce masque d'hypocrisie qu'impose la politesse sociale. Il est vraiment trop difficile de circuler l'âme nue en ville. Je hurlais, furieux d'avoir tourné le bouton bleu. J'ignore pourquoi, mais c'était un leurre coloré, la vengeance masquée d'un plombier, pas Polonais, mais qui devait avoir un enfant à l'école. Je me dis que ce robinet avait été monté n'importe comment, quand on sonna à la porte.

J'allais ouvrir, quand je me souvins qu'au temps d'Adam et Ève, j'étais le serpent. Une tenue fort délicate pour accueillir un inconnu ou Elvis Presley, des milliers d'années d'évolution me l'interdisaient. Heureusement, ma femme n'avait pas ce problème, et j'entendais maintenant sa jolie voix cajoleuse qui souriait. Un peu jaloux de ces rires d'en dessous, je m'habillai, des fois que cet homme aurait eu une blague pour moi. Quand j'arrivai, la porte était fermée et ma moitié avait disparu. La journée pouvait commencer.

Petit passage à la cuisine. J'avais déjà oublié ma bêtise, elle non. Un mot sur la table me le rappelait. J'ouvris le réfrigérateur, un peu vide, et, comme j'avais faim, je trouvai un croûton et retournai en enfance. Rien ne vaut une tartine de chocolat noisette.

Le ventre plein, et sans désir d'alcool, je m'installai à mon bureau. Hier, j'avais laissé le monde des vers sans couleur et je voulais réparer cet abandon. Pour beaucoup, les vers sont répugnants, pas pour un naturaliste : ces animaux sont sa poésie et le dessin son art. Arénicoles, Lanices, et Néréides sont des délices. Ne croyez pas que je me prenne pour une morue. Non, ces petites bêtes ne sont pas aimées que des poissons et de moi.

Parfois quand je pense à mon destin futur, ce jour où mes cendres circuleront sous la mer et que je m'imagine baudroie ou chimère, des relents d'incertitude m'envahissent. Mon estomac crie misère à l'idée des festins à venir. Par contre, le plaisir de dessiner leurs mille-pattes est réel. Détailler l'anneau de sable et de fragments coquilliers protecteur, dont certains de ces nageurs hors pair se servent, m'amuse. Là, je devais rehausser leurs tons, les maquiller de leurs parures de majesté : des bleus noirâtres, orange de vénus ou terre de sienne.

Le téléphone sonna, je décrochai. Agnès était en pleurs. Notre voiture avait grillé deux feux et heurté un arbre. Pourquoi griller deux feux, un seul ne suffisait pas ? Elle pleurait car elle allait être en retard et elle détestait ce manque de correction, simple question d'éducation. Moi, c'était les horaires et la circulation. Nous étions très complémentaires.

Je rangeais mes petits pots, cherchant le couvercle de l'un deux, opposé à l'arrêt de mon activité et vlan !… Voilà ma chemise teintée de pourpre. N'ayant guère le temps de poursuivre ma tâche, je me précipitai vers les étagères à la recherche d'une chemise propre. Paf ! Je dérapai, tombai sur le lit et la couette se couvrit sans raison de cette teinte des rois.

Petit mal de tête et peu de peur, question de nature. Je n'avais plus qu'à chercher les clefs, un pull-over et trois comprimés d'aspirine. Puis ayant trouvé mon bonheur, je pus gaiement rejoindre le lieu du crime. Agnès avait en horreur les complications, erreur fatale qui pourrissait notre contrat de mariage. Entre parenthèses, très loin d'en faire une histoire, j'allais rejoindre ma belle et pas pour danser. Quelle matinée de merde !

Cinq minutes à pieds, pas de quoi se faire une entorse et je la retrouvai lasse, au rond-point. Des uniformes l'interrogeaient, des bleus, jamais je ne ferais la différence entre gendarme et policier. La veille, nous avions annulé un repas au restaurant, qui s'annonçait arrosé.

Les huit poules cuites, tout pour plaire. Intuition divine, je savais que le ballon n'allait pas virer, il ne me restait plus qu'à annoncer mon malus à mon nouvel assureur… L'autre avait craqué. La courbe statistique de sa marge bénéficiaire tirait vers l'arrière.

Quand j'entrai dans son fond de commerce, sa face devenait blême. Son médecin, prévenant, lui avait parlé de cancer, pas de vacances sous les tropiques. Il l'avait écouté et m'avait viré de son agence, me remerciant sans nuance. Heureusement, mes dessins se vendaient plus que correctement, donc nous pouvions payer le devoir de s'assurer. Peu rassuré, cependant, je m'approchai de ma femme. Je n'ignorais rien de son caractère belliqueux et de son plaisir de ne rien oublier.

Ma tasse de ce matin, elle l'avait agitée en chats dans la gorge et curieusement elle n'avait aucune douleur. Or, mon âge grandissant me permettait de me méfier de ses mots blessants et des gros félins.

Guère de sang sur les pavés, je me présentai : Guillaume Durand. Pour un peu j'aurais signé des autographes. Agnès était assise, perplexe, elle pensait à ses cours. Je regardais ses bleus au cou, le choc avait été violent, mais elle semblait se porter comme un charme. Enfin, sous le feu de mon regard, elle n’avait rien d’une esquisse de fantôme : elle était sublime, autant qu'aux temps primaires où je lui faisais la cour. Je souris et perçus un éclair de haine. Vraiment belle !

mercredi, juin 1 2016

Mon année dans la baie de Personne - Peter Handke

« Mon année dans la baie de Personne »
Peter Handke

Livre tout à fait singulier que « Mon année dans la baie de Personne. Un conte des temps nouveaux » Le titre tout d’abord n’est pas commun...Cette baie, en vérité, n’a rien d’océanique ! Il s’agit, tout simplement, de la description métaphorique… de la banlieue parisienne…L’auteur, Peter Handke, est né en Autriche en 1942 et a vécu à Chaville , une localité située quelque part dans le sud –ouest de Paris, entre Sèvres et Viroflay… Et c’est dans cette enclave faite de forêts, de bois rabougris, de villages , de voies ferrées, d’autoroutes, de petites nationales, de bars « aux allures de caverne » qu’il nous entraîne en de longues marches zigzagantes, incertaines, ponctuées d’étapes mémoriales. Car Handke- ou plutôt Georg Keuschnig - son personnage dans le livre- arpente à la fois le département des Hauts- de- Seine et le vaste monde où il a laissé des pans de sa vie : Rinkolach, le village de son enfance dans le Tyrol, Inverness en Ecosse, Toro en Castille etc, New-York, et tant d’autres villes, d’autres capitales… Autant de lieux hantés par les silhouettes d’amis, de proches, de voisins à l’identité invisible ( le chanteur, le peintre, l’architecte, le charpentier, le prêtre, son père, son fils ), de personnages inconnus ou célèbres ; silhouettes qu’ils cherche désespérément à animer, à faire revivre, dans une fusion véritablement extatique du passé et du présent, pour les ramener avec lui, dans « sa » baie. Il s’enferme en elle, comme pour se protéger …transformer sa propre enfance et aussi toutes ces vies croisées, tous ces « ailleurs » qui l’envahissent en une seule et même réalité objective et rassurante. Ce qu’il appelle sa métamorphose…

Véritablement, Handke parvient, dans cet ouvrage, à récréer cette sensation d’ubiquité, par la magie d’une écriture que l’on qualifierait, au premier abord, d’écriture blanche, avant de s’apercevoir que la simplicité apparente du motif dissimule , en arrière plan, une écheveau de correspondances d’une richesse incroyable.

Handke marche, comme il écrit : sans nous dire où il va…C’est un randonneur intérieur qui semble errer, et qui pourtant connaît sur le bout des doigts les noms des villages qu’il traverse, qu’il a traversé, qu’il traversera…Car de même que les lieux l’interpénètrent, le temps, chez Handke, se fractionne, se télescope : un Rousseau qui aurait lu Faulkner…Résultat : un puzzle d’images d’une densité absolument époustouflante…

Un pur chef- d’œuvre…

Peter Handke a également écrit, entre autres, Le colporteur, La Chevauchée sur le lac de Constance, la Femme Gauchère, Essai sur la fatigue, Essai sur le juke box, le malheur indifférent. Essai sur la journée réussie. Le Chinois du crayon …Il figure parmi les plus grands écrivains de langue allemande, et son œuvre lui a valu le Prix Ibsen en 2014.

Jean- Yves Barzic

samedi, mai 28 2016

La croix de la matière

La croix de la matière

Dans les plaines opalines du Kilimandjaro, une tribu de mammouths pleurait une de leurs défuntes. Leurs défenses caressaient les os de la femelle d’une tendresse humaine.

Au-dessus d’eux planait un animal mythique. Les yeux de l’aigle du Caucase cherchaient une proie facile. Sur une clairière parsemée d’aigrefins (ces voleurs, bandits des hauts chemins), mais aussi de fleurs, chicorées pétales mauves, l’essence du millepertuis embaumait le pré et l’origan délivrait sa couleur d’un très beau pourpre violacé. Ces plantes, sans le savoir, façonnaient un contraste certain face à l’éclat du regard rouge carmin, feux allumés du phénix, cet as de la voltige, son regard tel un phare, comme celui du Stiff au nord-ouest de Ouessant, lieu où précédemment Léon venait de décoller.

Environ depuis trois ou quatre jours, il effectuait sa première migration, lui, ce jeune garçon, originaire de cette tribu celte de cette île au terrible dicton qui en dit long sur le cœur et le corps de son île, sa ville : « qui voit Ouessant voit son sang ! ».

Dans les airs, Léon, sans selle, volait, planait et survolait, dansait le tango. Cette mélancolie si jolie, et pensée sauvage, triste, sans se laisser envahir par les bleus, le blues de la trompette de Chet Baker et son fameux « My funny valentine », allait se heurter à une montagne de problèmes.

Guère voyants, comment auraient-ils pu deviner l’avenir ? Léon et son protecteur alignaient les milles nautiques. Sa monture et lui avaient une de ces faims à décorner un bœuf. Ils se trouvaient maintenant aux abords, juste sur les bords d’une façade rocailleuse, celle d’une falaise juste façonnée par un large torrent de pluie, une averse qui déverse ses larmes, cette cascade née de l’écharpe, noir-marron, reste de sédiments d’un fleuve en amont.

Le petit Léon riait tant il aimait chasser les courants d’air. Grâce à ce compagnon hors norme, il volait, vagabond de l’espace, sur son large dos zélé et ailé. Très à son aise au cœur des nuages de ce ciel de traîne, ce garçonnet ne connaissait pas sa chance d’être, de vivre, de respirer, juste heureux d’être né.

Un lapin de garenne passait par là, et quelques suricates, accompagnés de kangourous géants. Alors qu’ils descendaient vers le lac turquoise, oasis, curieux dans ce milieu mi-hostile, mi-paradisiaque, surgit un dragon de feu.

L’heure était grave, que faire ? Continuer la chute libre ? Se cacher ou plonger dans l’eau fraîche ?

Le soleil au zénith, Léon prit sa décision. Sans connaître la peur, il sauta de son cheval ailé.

L’aigle fit un cercle. « Le chien de Zeus » tournoyait, et d’un œil glaçant, il surveillait son maître flotter dans l’air, telle une pierre de granite dans sa chute libre.

Léon jubilait, oubliant de penser à l’amerrissage. Peu sage, l’enfant aimait l’eau, surtout l’eau de mer bien salée. Un bon bain le sauverait au sein de ce cirque sans vapeur.

Nous étions dans un temps venus d’ailleurs où le règne animal était confus, l’air magique. Des fleurs bleues poussaient sur de l’herbe violette, des mantes « orchidées adultes » orangé-rouge ne dérangeaient pas les licornes qui se baladaient sans tracas, se donnant à cœur joie, avalant la végétation du lieu, un peu narcissique. Cette sorte de cheval à la corne affûtée avait un don, celui de l’évasion, vous ne me croyez pas, hein ! Bien sûr, les licornes couraient vite, mais surtout, surtout, elles disparaissaient, capables de devenir air liquide, de s’évader de n’importe quel champ sans se créer un seul hématome.

Des animaux fantastiques, les colporteurs, ceux qui allaient de forêt vierge en château fort, racontaient que la licorne avait un don d’ubiquité, de vaincre le temps, de posséder au cou la clef, celle de l’immortalité.

Moi, qui suis-je pour vous conter cette histoire loufoque, un descendant du peuple celte ? Certes ! Ai-je l’autorisation de conter cette aventure ? Mon peuple est nomade depuis la nuit des temps. Depuis que le néant a créé des images, nous suivons une rose, la rose des vents, et prions pour que la Terre respire et aspire à la paix. Nos sanctuaires sont visibles du fin fond du Finistère à la Patagonie. L’érosion a vaincu la chaîne de montagnes qui bordait la mer d’Iroise. Peuples du Nord, nous pensons comme les civilisations disparues (Mayas, Aztèques, Incas et consorts) que chaque point cardinal correspond à la roue solaire, aux éléments majeurs. Le nord est l’élégance de la Terre ; le sud est l’air, ses vents ; l’est est le feu, la flamme ; l’ouest est l’eau, la nourrice.

Et Léon, ce dragon collé aux fesses, fendait l’air. Plus de quatre tonnes sorties d’une grotte préhistorique et la foudre dans les yeux, il volait moins vite que le Caucase. L’aigle, cette sentinelle aussi nommée « le chien ailé de Zeus » avait-il peur de l’enfant sacré ? Oui, non, réponse de normand, qui le sait ? Pas moi, et vous ? Imaginez-vous sur un aigle, survolant une falaise haute comme les monts d’Arrée, faite d’angle de pierre taillée, ciselée, issue d’un terrible volcan éteint, une pierre idéale pour vous mordre la peau. Vous plongez, ratez votre cible, et les cieux vous raccompagneraient auprès du créateur, l’organisateur de cette surprise-partie, le big bang, là où vous vivez. Alors imaginez-vous sur l’aigle poursuivi par la flamme !

Pas de flemme, pas le temps de réagir par réflexion, juste l’abandon de son destrier, l’aigle. Alors il plongea de si haut que sa tête en immersion fit une explosion de joie et de couleur, celle complémentaire, celle qui anime les dessins et dessine le destin. Le petit Léon avait du cran, du chien, selon une expression de par chez moi.

Qui suis-je ? Que sais-je ? Rien, il est impossible de le nier. Né sur une terre de légendes quand je ferme les yeux, je pars dans ce temps venu d’ailleurs. Tiens, un bouton d’or, et ce petit garçon qui entre dans l’eau. Moi, j’admire les tempêtes de suroît. Ma maison est en L. L’angle fend le vent. La cheminée crépite. Je fixe la bûche centrale. Une flammèche verte explose, un éclat de sève meurt et se détache en forme de cobra. J’aime écouter le vent, au chaud, un chocolat tendre à mes pieds…

Léon en apnée découvrait un « caulophrynidaeo ». Qu’est-ce donc que ce drôle d’animal sous marin ? Un tronc de crapaud, comme ce rocher de mon enfance, une sorte de pieuvre aux pieds roses, pleine de ventouses, un corps à la peau d’éléphant bleu pâle issu des abysses qui lui fit un clin d’œil, le regard tendre et pourtant noir profond.

Durant ce laps de temps, au-dessus de lui, un nuage noir se forma issu de nulle part. Impossible de savoir comment et d’où il venait et éteignant la longue flamme arrogante du dragon qui se trouva bête et nu, il rentra se coucher dans sa grotte pour encore quelques millénaires afin de s’abriter de la colère divine qui se devine en observant la nature, ce chef d’œuvre infini : la quadrature du cercle. Le chien ailé, compagnon favori de Zeus, alla virevolter dans le cœur noir du nuage. Aimant la fraîcheur de l’instant et sachant que le petit Léon, son maître, était en sécurité, l’aigle perçant le nuage se sentait libre comme tous les oiseaux : albatros, bernaches, tourterelles ou moineaux.

Là, Léon commençait son apprentissage, le début de sa vie, son aventure, sous l’eau. L’œillade du poisson-ventouse aux larges oreilles le mit en confiance, comme si on l’attendait dans ce lac tiède, frais par rapport à la température extérieure. Léon ne réfléchissait pas.

Or un phénomène inattendu se réalisa. Je le nommerai ainsi : la télé-sympathie et en « espéranto » Kézako ? Comment l’expliquer ? Je ne suis guère doué. Devant ma cheminée, les yeux fermés, cette langue « l’espéranto » est une tentative de rassemblement des peuples, parler le même langage, et là, vous ne me croyez pas, croyez-moi, pourquoi mentirais-je ? Je n’en tirerai aucun avantage, je suis né ainsi et Léon aussi. Moi, quand je ferme ma boîte à outils, le regard, une invasion d’histoires arrive. Le « caulophrynidaeo » existe toujours dans les abysses. On le dit laid. Ce que j’en vois, au contraire, ce n’est pas un monstre, mais un ours-éléphant. Mon message dérive. Léon, loin de chercher la rive, alla plus profond chercher de l’adrénaline. Sans aucun doute, le jeune humain n’avait jamais vu sa mère, ni les océans ou la mer grise. Mais avant de nager, d’aller se transformer en chercheur, il reçut un message d’amour de la part du peuple du dessous. Les sous-marins qui n’aspirent pas à respirer, le petit Léon avala ce zeste de tendresse, et se dit que le fond des choses, il voulait le connaître, lui qui ne connaissait que l’ivresse de monter sa mythique monture, l’aigle du Caucase, sans même savoir que cet animal fut celui le plus intime de Zeus, dans le sens où lui aussi aimait les promenades au cœur du ciel et sa ribambelle de nuages, lieu bleu ou orage, et tonnerre en colère venait de son cortex, cet homme, toge blanche et aux yeux noirs ayant pour seule arme la foudre.

Alors que Léon, sans peine, avait commencé son bain de jouvence, et que personne ne lui avait appris à nager dans la vie, une colonie de phoques verts couverts de plancton tournilla autour de lui, le frôlant, à une vitesse et une précision indécentes, dans le sens du poil. Le courant était fort, car la colonie de phoques déplaçait des montagnes d’eau tant leur masse était imposante. Il vit un objet brillant : une grotte au fond du turquoise, ce lac paradisiaque devenu bleu cyan profond. Les yeux grands ouverts, Léon resplendissait tel un ange venu d’ailleurs. Venu d’où ? Des cieux. L’enfant souverain nageait, au milieu des phoques, sur le dos, faisant la planche, ou réalisant une brasse tordue. Peu importe, il oubliait l’horloge. Il oubliait le temps et n’eut pas un frisson en croisant « l'éponge Lyre », être au tube digestif apparent capable de l’aspirer d’un seul coup. Mais ses gardiens l’entouraient et le guidaient tel un dauphin qui sauve un humain en péril face au danger. Mais Léon sentait que, malgré l’ivresse des fonds, sa cage thoracique devenait toxique, une prison. L’air manquait. Aussi tranquille qu’une fleur, le roi des phoques le prit sur son museau. Vous savez, les phoques ont de la moustache. Ce phoque-là portait de la barbe grise, un souci esthétique peut-être ? Donc, Léon fut déposé sur les abords d’une rive couverte de fiente d’oiseaux, et de chauve-souris, et là, personnellement, j’aurais tremblé de la tête aux pieds en passant par la peur au ventre. Lui, en armure de chevalier du ciel, pas en maillot de bain, ne chercha pas une serviette. Mais que lui avait-il dit en « espérento » cet « caulophrynidaeo » aux pieds d’argile pour être si tranquille. Impossible de le savoir !

Une colombe passa, Léon n’en connaissait pas la symbolique.

Sa cotte de mailles n’était pas en acier mais en écailles de tortue sauvage. Léon, et je ne cesse de le répéter, restait tranquille comme un cactus dans le désert, ou une pâquerette sur un terrain de football amateur. Je sais mes images sont insolites, mais moi, je vis en face de Ouessant, dans un aber, au pays des abers, sorte de fjord et je ne possède pas la connaissance infuse et n’aime pas le thé ! Je n’infuse rien, je partage mes visions et éteins la télévision. Nous sommes au vingt et unième siècle après Jésus, notre Christ, de l’avis de tous, sauf des chinois qui résistent. C’est leur droit, pas d’ingérence dans les civilisations. Dans mon pays, pas d’aigles, ni de vautours, que des renards des brousses à la peau rousse comme la lune miroir du soleil. J’en étais où ? Je ne suis pas né de la dernière pluie : plusieurs révolutions solaires à mon actif. Je vibre devant la nature, les couleurs, les odeurs, le feu de cheminée, mais je ne suis pas un druide. Enfin, je ne vais pas chercher le gui, et quand je perds un être cher, je ne caresse pas ses os, je l’enterre, poète à mes heures en sachant que les vers iront creuser des tunnels, aérer la terre et créer de l’ail des ours, une plante à la longe verte, et au cœur d’une blancheur digne d’un dentifrice magique, que j’aime manger accompagnée de pâtes. Où il part celui-ci ? Et bien dans sa vie, comme vous, suis-je crédible à vos yeux ? Je ne le sais ? Je souffle comme Léon apprend à respirer au creux d’une grotte, et cette question, comment sortir de ce gouffre ? La magie, et hop téléportation, je n’y crois pas.

Un drôle de guide arriva au-dessus de son épaule : un colibri. Léon ignorait tout du monde sans fin, et la faim se levait, un petit creux, pendant que je buvais mon chocolat chaud. Lui, son ventre gargouillait, signe du manque de tonus qui allait l’empêcher à remonter par la route première, celle de sa chute vertigineuse qui ne brisait pas son élan, et il découvrait le goût de l’aventure, l’envie d’explorer. Les stalagmites et stalactites de la grotte l’impressionnaient certes, mais lui délivraient de l’entrain. Les phoques devenus maladroits sur le bout de lave, ne pouvaient plus l’aider que du regard. L’enfant vit de la lumière, au loin, et s’en alla à la découverte de cet univers inconnu. Il marcha, marcha… Le premier fait insolite fut de voir des travailleuses, des fourmis qui portaient d’immenses, de gigantesques feuilles sur leur dos, à bout de pattes. Quelle force ! Léon admira le troupeau, leva le pied. La jambe évita d’écraser des membres de ce peuple, et il se dit que si on trouvait des feuilles, on trouverait des arbustes et peut-être des arbres ?

Dans ce milieu hostile, d’énormes chauves-souris. Sans « le chien de Zeus », le petit Léon avait perdu ses repères. Toutefois, une drôle de sensation s’inscrivait en ses gènes. Les animaux semblaient dormir. Son sang sacré dans cette nuit nacrée, couleur perle du sud, il avait perdu le nord, les étoiles, les constellations, ses habitudes, et le grand tout, le soleil ! Alors, le courage fit place à la naissance de ce sentiment que moi je connais souvent : la peur. Léon avait à sa hanche un couteau en corne de zébu, pour se défendre et pour manger. Le colibri restait stationnaire. L’oiseau-mouche restait à la hauteur de son épaule puis soudain, il accéléra. Quelle vitesse ! Évitant les obstacles, il devait avoir une cervelle radar. Sans un mot, Léon se mit au pas se disant, sans perdre son humour, qu’il était dans une sorte de pétrin, et peu boulanger. Cette question : comment quitter la grotte, suivre le vol du colibri qui lui avait laissé le temps d’admirer ses plumes jaune vif, rouges et des parcelles de noir. D’humeur sombre, il se sentait pour la première fois de sa vie mal à l’aise. Puis soudain, une attaque sonore, un son horrible. Les chauves-souris se réveillaient. Or, pour Léon, son confort auditif devenait insupportable, et il leva les yeux et vit le vide violet de ce regard avide de chair. Léon était la proie pour la première fois. Il devait trouver le pays des licornes puisque son aigle volait ailleurs. Comment faire ? Une boule d’incertitude le réveillait. Parfois le sentiment de peur rend l’être courageux et il dépasse ses limites. Parfois non. Mais Léon était de cette trempe des guerriers, il aimait vivre en paix, mais le sang il ne le maudissait pas ! Le son devenait de plus en plus insupportable. Autant au cœur du mystère de l’eau tiède, il n’avait rien ressenti, là, l’horreur sonore, ses pas devenaient de plus en plus lents. Léon perdait ses forces. Il faiblissait quand soudain un miracle se fut. Sur la fiente des chauves-souris poussèrent une, puis deux, puis trois fleurs : des lys. N’y voyez rien de royal, loin de l’idée de la beauté naissante. Le petit Léon prit sa corne de zébu, délicatement. Il coupa la base de la tige de deux lys et se boucha l’embouchure de ses oreilles, une sorte d’oreillette ! Ouf, il ne restait plus qu’à ne pas perdre son esprit, ne pas broncher, ne pas courir, ne pas déranger les oiseaux chauves. Il portait de lourdes bottes comme sa côte de mailles en écorce de tortue de mer : un confort certain mais une tenue brillante. Léon avait confiance en son armure bien que la vie ne lui avait fait que sourire. Sa première épreuve, il la vivait là. Guidé par son simple instinct, il goûtait pourtant au plaisir de l’instant : voir des lys se lever et le délivrer du mal !

Léon nageait dans le brouillard, et débrouillard, il suivait l’aura, ce zeste de lumière. Mais qu’allait-il trouver dans ce champ d’ultraviolets absent ? Un lieu si sombre !

Soudain, les chauves-souris attaquèrent. Au-delà de ce fait, une horde de loups surgit. Une bataille pour la vie s’engagea. Les oiseaux chauves sortaient de leur léthargie. Les loups, en meute, luttaient pour conserver leurs poils, leur peau. Attaqués sur leurs points faibles, (oreilles et queue), vifs, ils mordaient à tout-va les volatiles qui en plus de leur cri strident montraient leurs dents crochues. Le sang giclait sur le sol volcanique. Un moment de panique pour Léon. Lui, sa corne de zébu à la main, luttait aussi en compagnie de ses nouveaux amis les loups et ça mordait, ça descendait du haut, du sommet de la grotte, visant sans chagrin la mise à mort des êtres de chair. Loups et Léon s’accompagnaient dans cette sauvegarde de leur vie. Certains criaient. Blessés, tués, le moment était fou, furieux, aussi furieux qu’un ouragan de force douze. Mais le danger fut mis à mal par la meute, qui semblait-il, connaissait la faiblesse de leurs assaillants : le cou. Et ils mirent en fuite les volatiles qui regagnèrent le sommet pour s’endormir de nouveau, comme si de rien n’était. La mort et le sang se trouvaient à terre sur ce parterre de fiente. Petit instant de paix. Le petit Léon, impuissant, sa corne de zébu dans la main, ne savait plus maintenant si les loups ou les chauves-souris soulignaient le danger, car les loups, l’ancêtre du chien, lui tournaient autour, prêts à mordre ses os, les broyer comme ils venaient de le faire face à l’ensemble des chauves-souris… Que penser ?

Devait-il se battre, lutter, entouré par des hululements, des hurlements que même la fleur de lys ne pouvait ôter ? Léon sentait la peur. Ce sentiment montait comme un flux chaud identique au Gulf-Stream qui passe à l’ouest de son île. La peur, un sentiment chaud que ce petit sauvage découvrait, continuait à courir dans ses sens. Pourtant, il vit l’improbable. Le chef de la horde, aux yeux aussi perçants que l’aigle du Caucase, vint vers lui. Attention, sans soumission, ce n’est pas un caniche. Il fixait Léon qui rangea en guise d’acte de bienvenue son arme de poing. Le reste des loups tournait autour de sa personne. Le chef se mit en position fixe, yeux dans les yeux, dévisagea l’intrus, et assis lui donna la patte. Léon, brave, accepta le présent et c’est en compagnie d’un lot de loups, de nouveaux et bien drôles gardes du corps, qu’il alla vers la lumière, ce soleil qui lui manquait tant. En marche, une surprise l’attendait. Après les stalagmites, les stalactites, les trous de termites, les fourmis guerrières, la solitude et l’inquiétude d’être dans un milieu humide, très humide, il rencontra une forêt. La canopée était si dense qu’il ne voyait pas les nuages, ni le ciel azur, hors du temps, dans un pays aussi étrange qu’étranger qui l’étranglait par son essence même. Léon ne jouait plus. Son parcours initiatique ne venait que de commencer : des arbustes, du lierre, une végétation inconnue à ce jour qui formait parfois un mur infranchissable. Léon suivait sans mot dire, se demandant seulement comment et d’où provenait cette essence qui nourrissait ses sens olfactifs. Son nez souriait tant le parfum embaumait la forêt évanescente et remplie de mystères. La peur s’envolait. Guidé par les loups pour trouver de l’air libre, finis ces volatiles hostiles, il allait sur un sentier entre les arbres aux fruits mauve groseille et des bolets du diable. Mais qu’était-ce que ce lieu insolite ? Sur le parcours, des criques, des cours d’eau claire pour boire, et le devoir aussi de les passer sans se mouiller, pieds ou pattes. Alors sur des troncs, sans glisser, la troupe s’inventait funambule si possible car le flux du courant était fort, là dessous en cette saison. Ces troncs qui s’imposaient comme des ponts devenaient un plaisir d’être léger sur ses appuis. La troupe, le groupe allait en file indienne. Acrobate, sans se battre, la lutte encore en mémoire, Léon devait son salut à ces chiens préhistoriques, et les yeux fermés, il parcourait l’hospitalière forêt qui sortait de nulle part, seulement source d’espoir. Où était-il, Léon ? Il se savait au fond du trou, un abysse, une fosse. Son aigle, fidèle compagnon de jeu, de chasse, son camarade et gardien, volait ailleurs. Où se trouvait la clairière ? Le champ paisible où se promenaient les licornes, un verset de l’épître de Saint-Paul s’imposa à lui : celui du passage où nos pères baptisés par Moïse lorsque dans la nuée et dans la mer, tous ces êtres furent alignés sur le même fil, tous ont bu. Le même breuvage spirituel lui revenait : « Il ne suffit pas de recevoir des grâces de Dieu et les effets de sa miséricorde : il faut y correspondre ! ». Alors sans posséder ne serait-ce qu’un zeste de savoir, Léon avançait, donnant sa confiance aux loups, tout en pensant à ce qu’il cherchait, ses repères, ceux de sa naissance : les fleurs, jasmins que déviraient comme des friandises les licornes  et les autres animaux, ou être fabuleux pour nous, et si communs pour Léon comme les korrigans, les elfes, les lutins, et les sylphes, sans oublier les sirènes qui se baignaient dans l’iode et leurs chants de loup de mer si nuisibles aux marins. Tout cela, cette faune, cette flore, Léon, il connaissait. Mais là, dans cet endroit hors du temps, sous le couvert des feuilles des arbres, épineux, feuillus inconnus, résineux, l’archétype d’un labyrinthe digne du Minotaure, cet animal dont il devait se méfier, si véloce et féroce, le sentier était invisible pour un œil non averti, ce qui était son cas. Poursuivant sa caravane de bédouins, poursuivant l’essentiel en file indienne, il poursuivait l’esquisse du dessein de son destin, suivant sans marmonner son guide, le meneur de la horde des loups, pas garou. Juste heureux d’être sorti de ce piège de haine, Léon profitait de l’air. Cet air provenant du sous-bois ressemblait à s’y méprendre à la cour d’un roi, un jardin de château. Pendant qu’il marchait, sa pensée invisible se décalait telle une horloge sur le banc, où souvent, avec ou sans vent, il dialoguait, discutait avec son père, et n’oubliait pas sa mère. Soudain, un autre colibri arriva, étrangement clair, blanc linge. Il se posa sur son épaule. Ce sentiment de grâce, de plaisir intense, presque insoutenable jouissance de vivre l’excellence du temps présent, sur son épaule, Léon n’osait bouger un pouce. Mais pourtant, il suivait le chef aux yeux bleu étincelle. Sans sourciller, le colibri battait des ailes sur sa cuirasse d’écailles de tortue de Patara. Allez comprendre pourquoi ! C’est sur cette plage qu’elles vont pondre. Les écailles de son armure venaient de Turquie, d’après ce qu’il en savait de sa tunique. Cela avait peu d’importance. Bien que seul au milieu d’une flore parasite, quelques papillons multicolores lui délivraient de l’ardeur, du courage. Il avançait fier comme harpagon, oubliant les dangers multiples qui s’alignaient devant lui : un dragon de feu, un lac turquoise, des poissons pieuvres, des abysses et « l’espéranto » ! Voilà le bilan de cette escapade sans permission de son île au ponant, une île pôle ouest de la Terre. Le colibri, avant d’accélérer, et muni d’un radar hors norme, lui fit part du port de son salut : «  Là, où se trouve la clairière, tu trouveras de la lumière ». Et hop, une accélération improbable, filant entre les arbres, si vite que Léon chuta sur un tapis de mousse. Un tronc glissant venait de lui faire poser son fessier par terre. Il se releva. Un bruit assourdissant venait du fin fond de la forêt : une chasse aux cochons sauvages poursuivis par des trolls à la matraque lourde et aux hurlements de guerriers. Ces ogres avaient faim, soif de sang et la meute prit la poudre d’escampette. Léon se trouvait seul. De plus, la crique devenait un saut, une cascade légère mais puissante. Il fut emporté dans son souffle, sans pouvoir nager. La noyade n’était guère loin. Le petit sage ne l’entendait pas ainsi : il se démenait pour surnager et garder la tête hors de l’eau. Il respirait de larges bouffées d’oxygène, et sa tête repartait en immersion. De la rocaille le heurta et une branche le sauva. Il prit soin de l’agripper, d’user la force de ses bras pour remonter, vaille qui vaille sur la berge. Et là surprise, un long couloir de plantes carnivores : des dionées gobe-mouches aux dents effroyables car celles-ci étaient aussi hautes qu’un étage. Vertes, ouvertes, prêtes à mordre, déchiqueter l’écorce d’écailles de Léon ! Heureusement, maladroites, elles visaient mal, et le petit Léon put avancer, corne de zébu en sang, vers un espace qui semblait clair, une source de bleu qui devait masquer sa peur et le délivrer du mal ambiant. Chose faite, la traversée fut celle de Verdun : sans pause, luttant pour vivre. Jamais son pays aux goélands ne lui avait fait ce genre de sensation : un parcours initiatique divinement orchestré par Zeus, son père. Léon soufflait dans la clairière, et il pensait à son port : un petit port tranquille et ses bateaux qui se rangent au gré des courants, des lunes et des soleils qui s'aiment, s'attirent et se délaissent. Les voiles sont bleues, vertes, mauves ou rangées. La mer, elle, est silencieuse si le vent ne se fait point remarquer. J'aime l'abri du petit coude né de la rivière qui se jette à la mer, et le charme suranné des corps morts éparpillés. Ce sont de bien curieuses bouées qui ne retiennent pas les marées, mais les navires qui s’y amarrent. La nature nous promène dans son spectacle permanent, ses bruits, ses sources, et les délices de ses couleurs. Des nuages turbulents se baignent dans le ciel, éclaboussant le bleu de gris arrosés. Étrange impression de ce lieu aérien où il pleut des idées de rentrer auprès d'une cheminée, le regard allumé face aux flammes rouge cendré qui projettent leur chaleur.  Les dos des bateaux agitent leurs mâts secoués par les mouvements des flots. La musique des drisses et des chants d'oiseaux enchantent ma pensée. Je rigole et je m'affole de cette illusion de paix, de ce lieu miroir où la guerre s'est effacée. Des souvenirs de peines qui ont existé bien avant que je sois né affleurent. Curieuse idée que de penser aux bombes qui, sans secret, déchiraient le ciel, crevaient les nuages, laissaient couler la colère rouge du pas de veines, transformaient les rues en artère de sang ou en arc-en-ciel de douleur.   Au centre de la clairière, il s’assit. Le soleil brillait. Une fée tenait Pégase par sa longe. Léon ne l’avait jamais vu ce mythe : un cheval ailé couleur ombre. Sans un mot, elle lui fit comprendre de monter sur sa croupe. Léon ne cherchait plus autre chose que de revoir son île, son père, sa mère. Il exécuta cet ordre et s’envola en se dématérialisant. Son corps plus léger qu’une plume, il souriait enfin ! Bientôt il verrait la côte : lumière irréelle et beauté d'un voyage immobile. Le ciel gris épris de ce vert mystère donne son reflet au lac bleuté. Melon attend ses cygnes, et la mer, ce matin, est partie loin. Un bateau promène son sourire, cyan, sur les bords de son flanc. Son ancre posée sur la grève a des airs de Chine, cette marque du temps immuable : vérité et silence.   Presqu'île et sujet de cette ombre océan, un voile de brume nous cacherait presque la vision de ce four. Le phare cache ses reins. Éteint, il attend la prochaine marée, la caresse dorée d'une raie ou les crocs acérés d'un chien de mer.   Sur la plage, nulle projection de déjection, une clarté marron rose éclaire nos envies de découvrir une étoile de mer : coussins, astéries, couronne d'épines ou la sublime crachat d'amiral. Cette dernière, peu royale mais légère, s'entête. L'animal digère ses mollusques, loin de nous offrir un râle ou un rot. Soulevez un caillou, vous verrez bernard-l’hermite, petits crabes et porcelaines. Des laitues ou des algues queue-de-poulain cachent sous leurs ailes des mysis, tandis que des poux et des oiseaux survolent le tout...   Étranges nuages qui scellent les clefs de la nature, illusion de réel ou épines dans le pouce-pied, un plat de forme que j'aimerais un jour goûter...

Zeus en apercevant son fils riait !

vendredi, avril 22 2016

Ibidem - Chapitre 12 / 12 - Pas de cimetière pour Jean Polsartre.

Chapitre 12 / 12

Pas de cimetière pour Jean Polsartre.

Le monomoteur rebondit sur la piste de terre pilée et s’immobilisa après quelques zigzags et un dernier looping. Bel atterrissage pour le novice que j’étais. je descendis du coucou, vêtu d’un short et d’une improbable chemise. Je réglai le pilote une fois qu’il eut fini sa lente descente en parachute. Le soleil s’en donnait à cœur joie, faisant éclater les roches mordorées, tandis que le vent impétueux soulevait des nuages rouille qui venaient s’éventrer sur nos peaux suintantes. Je quittai le pilote, barbu et hilare, avec ces mots : « I’m hot ! Good bye ! » en pointant du doigt le fleuve que j’avais vu du ciel. Probablement désireux de se rafraîchir aussi, le pilote me suivit jusqu’au fleuve dont le nom m’apparut bientôt sur un panneau de bois sec planté ici par quelque explorateur aujourd’hui oublié : Rio Grande.

Comme pour un jeu innocent, le pilote découpa une galette de roche friable et improvisa un concours de ricochet. Le caillou brûlant laissa échapper un champignon de vapeur à chaque contact avec la surface de l’eau, qui était pourtant elle-même à ébullition. Je me prêtai au jeu et lançai évasivement :

- Do you know Jean Polsartre ?

- John Pol’s art ? What’s that ?

- Wof, soupirai-je, a french artist.

Le pilote commença alors à débiter, dans un charabia indigeste, les règles d’un jeu dérivé du ricochet avec un système de points et un barème des plus complexes. Il s’agissait de toucher le plus grand nombre possible d’alligators et de mexicains clandestins. Ses yeux se mirent à briller lorsqu’il m’expliqua qu’on devait se méfier des mexicains déguisés en alligators et davantage encore des alligators déguisés en mexicains. Je n’avais aucune envie de jouer à son jeu. Le pilote gagnait en hardiesse et, gaillard, s’accrochait à mon biceps de manière assez vigoureuse. Je calmai son accès de familiarité en le repoussant légèrement. Assez fort toutefois pour qu’il dérape et perde l’équilibre. Les alligators étaient visiblement affamés.

J’entamai ma marche en direction du village qui cassait l’horizon. Je longeai le fleuve en écartant les joncs, en enjambant des carcasses pulvérulentes libérées par le récent abaissement des eaux et surtout en prenant garde de ne pas m’approcher trop près du bord que je savais glissant depuis la mésaventure survenue au pilote. Je slalomai entre les cactus et j’arrivai sans encombre dans un village aux palissades de bois. Adossé contre la première façade de l’unique rue du village, Lulu Ragourdin, sombrero rabattu devant le visage, imitait mal un mexicain endormi. J’avalai une goulée de liqueur de bouleau et entrai dans le seul commerce du village. J’en sortai avec une part de tarte aux fraises à cinq dollars. Arnaque. Les fraises n’avaient même pas été dénoyautées. Qu’est-ce que diable Jean Polsartre était venu s’enterrer ici ? Une rue en terre, quelques vieux agriculteurs aux granges emplies d’outils rouillés, une épicerie vide, des tartes aux fraises de muvaise facture, un décor minimal qui convenait tout juste au talent de Lulu Ragourdin et dans lequel la providence avait placé un bigophone à manivelle. Quatre mètres me séparaient maintenant de l’anachronique appareil. Deux gamins mexicains passèrent devant moi, l’un coursant l’autre. Détrempés et orphelins depuis leur traversée du Rio Grande, cinq minutes plus tôt, ils riaient et s’injuriaient en même temps. L’un criait dans la langue paternelle de Don Quichotte. L’autre répondait dans la langue de son écuyer qui se trouvait être la même. Je ne comprenais pas un mot.

J’appelai enfin Lorenza.

- Jimmy-Joyce ? s’étrangla-t-elle.

- Oui.

- Enfin ! Quatre jours que j’attends ! Que s’est-il passé ?

- Comment ça « Que s’est-il passé ? » ? Je te trouve culottée Lorenza, le Nouveau-Mexique ce n’est pas la porte à côté.

- Le Nouveau-Mexique ? s’étonna-t-elle.

- Eh oui ! Et il a encore fallu que je traîne mes guêtres jusqu’à ce village sans cimetière et où les vivants ignorent tout de Jean Polsartre.

Lorenza pensa sans doute qu’il valait mieux s’amuser de la situation.

- Vous portez des guêtres ? me demanda-t-elle.

Mais la conversation qui croustillait depuis le début fut, l’espace de trois secondes, remplacée par un signal strident qui perça mon tympan droit et anéantit en particules élémentaires l’effet comique de mademoiselle Andretti-Gabanna. Ce cri électrique m’empêcha en effet d’entendre sa question.

- Pourrais-tu répéter ? demandai-je à Lorenza.

Vexée par le cuisant échec de son humour naissant, elle leva le ton.

- Mais bon sang, Jimmy-Joyce, quel est le nom de ce satané village dans lequel vous êtes allé vous perdre ?

Je répondis. Elle raccrocha sans mot dire. Cela devenait une fâcheuse habitude. Le technicien slovaque que j’avais incarné avec brio le confirmait. J’allai apprendre à aimer ce coin oublié où m’attendaient les cinquante prochaines années de mon existence. De solides amitiés s’apprêtaient à naître avec les agriculteurs qui, comme moi, étaient de doux rêveurs, abusés par des encyclopédies erronées, venus chercher ici une gloire passée, une idole dans quelque cimetière au milieu du désert. Certains cherchaient encore, d’autres s‘étaient résignés depuis longtemps et laissaient passer le temps, ici, à Ibidem.

mardi, avril 19 2016

Ibidem - Chapitre 11 / 12 - Pas de succès pour le technicien slovaque.

Chapitre 11 / 12

Pas de succès pour le technicien slovaque.

Heureux d’avoir été choisi, à la loyale, à la place d’un des deux ténébreux endimanchés, je rentrai chez moi en courant. Je trouvai la porte de mon appartement béante et les meubles comme s’ils avaient fait la fête en mon absence. J’avais été visité. Etant d’un naturel distrait et désordonné, ces détails ne me choquèrent pas outre mesure.

- Alors ? Gueule de bois ? lançai-je en ricanant à mon mobilier détruit.

Les pointes acérées des planches fracassées avec violence me promettaient des échardes de tailles supérieures à la moyenne. Je versai une bonne rasade de liqueur de bouleau dans un verre hémisphérique à fond plat. J’improvisai deux toasts avec une biscotte, des rondelles de grenade et des cèpes découpés en dés. Je plaçai le dernier disque des Sprinklers sur le tournophone : Anorexic cat and the suicidal mouses. Une telle mise en scène me permit de fêter dignement mon succès. Seul au milieu de mon salon, j’exécutai quelques pas de danse dans lesquels on discernait aisément ma maîtrise de plusieurs arts martiaux parmi les plus pointus. Alors que j’effectuai une roulade avant et que le tournophone dévidait les décibels en flots abondants et onctueux, le combiné de mon téléphone grelotta. Je pensai qu’un de mes voisins allait une fois de plus me supplier d’abandonner la singulière habitude qui était mienne de pousser le volume de mon tournophone au maximum. Je décrochai violemment le combiné et je hurlai :

- Oh ! Le mot « liberté » tu connais ?

- Oui, me répondit-on d’une voix sensuelle, que je reconnus comme étant celle de Lorenza.

- Ah ! C’est toi ?

- Oui, c’est moi ! Mais pourquoi hurlez-vous ? me demanda-t-elle.

- C’est tout simplement de l’humour, répondis-je un peu pris au dépourvu et moi-même très peu convaincu par cette réponse.

Je débranchai le tournophone qui agonisa dans un rot terminé par quelques infimes bourrelets sonores.

- De l’humour ? Nous n’avons assurément pas le même, me moucha-t-elle. Mais trêve de plaisanterie, je vous appelle pour vous donner plus de détails sur votre mission. Etes-vous toute ouïe ?

Le ton employé en fin de phrase me laissa supposer avec justesse qu’il s’agissait d’une interrogation. Seulement, le contenu de la question m’échappait : « Etvoutoutoui ? ». Que signifiait ce mot ? Une expression latine dans la même ligne que le célèbre « Et caetera » ?

- Tu quoque mi fili, lui répondis-je pour lui prouver mon érudition.

But ruiné par ma désastreuse prononciation.

- Cessez vos enfantillages Sainte-Clark !

- Ca m’a fait plaisir de discuter avec toi, je vais te laisser vaquer à tes occupations.

- Et votre mission ? Elle n’a l’air de vous intéresser que moyennement, je me trompe ?

- Non, enfin…oui, tu te trompes. Dis-moi tout !

- Je tiens à vous prévenir que votre combiné est sûrement piégé. Je vais probablement être amené à utiliser un langage codé. Si vous pouviez mettre votre perspicacité en éveil !

- Ne t’inquiète pas !

- Jimmy-Joyce, j’aimerais que vous vous rendiez devant l’hôtel de ville d’une cité que je vais vous aider à deviner et que vous me contactiez à partir d’une cabine téléphonique.

- Quelle est cette cité qui déjà me fait rêver ?

- Oh oh poète Jimmy-Joyce ? Vous cachez étonnamment bien vos talents ! Je parie que vous trouverez le nom de cette ville tout seul.

- Donne-moi un indice quand même.

- Non, je parie que vous trouverez.

- Lorenza, c’est bien gentil de répéter béatement cette phrase. Crois bien que ta confiance me va droit au cœur mais il faut que tu me mettes sur une piste.

- Je PARIE que vous trouverez, répéta-t-elle en insistant sur le deuxième mot de la phrase.

- Pari osé ! alimentai-je la conversation.

- Ca y est ! Vous avez compris ? m’interrogea Lorenza avec un filet de triomphe au fond de la gorge.

Je n’eus pas la force de la décevoir. J’en rajoutai même un peu.

- Bien sûr ! J’ai compris depuis le début. Tu me prends pour un demeuré ?

- Non, dit-elle en souriant.

Elle raccrocha. Plus hésitant, je raccrochai également. Je laissai filer dix secondes, soit le temps d’échafauder un plan bancal. Je mis à exécution la première étape de celui-ci en rappelant Lorenza. Elle décrocha.

- Bonyour, lui dit un homme qui jouait divinement bien la comédie.

- Bonjour, lui répondit Lorenza avec l’air de celle qu’on ne dupe pas mais qui a la condescendance de répondre.

- Yé soui actouellement à Blatislava, en Loussie. Yé lémalqué oune ploblème sul votle ligne. Yé vais dewoil tout couper wos lignes. Mais atteution, cadeau magique bonus, yé peux galder la liaison awec une wille. Pas deux willes. Pas tlois willes. Une seule wille. Quelle liaison est-ce que wous woulez que yé conselwe ?

Sans dire un mot, Lorenza raccrocha. Elle composa de suite mon numéro.

- Lorenza ? demandai-je dans le combiné encore grelottant, tentant de prendre un air détaché.

- Oui.

- Tu boudes ?

- Pourquoi me demandez-vous cela ?

- Oui c’est vrai, je me demande pourquoi je te pose cette question. Comme si on venait de se quitter en mauvais terme au bigophone.

- Oui c’est étrange. Jimmy-Joyce, vous connaissez Jean Polsartre ?

- Oui ! Je ne vais pas souvent au musée mais je le connais. Tu as de ces questions parfois !

- Jimmy-Joyce, Jean Polsartre est un écrivain.

- Et que me veut-il ?

- Il est décédé !

- Oh ! C’est pas vrai ! Comment cela est-il arrivé ?

- Arrêtez de faire semblant de vous intéresser à cet homme, il nous a quittés il y a plus de trente-cinq ans.

- Je me disais aussi ! Pourquoi Lorenza me parle de cet inconnu ?

- Je vous assure Jimmy-Joyce, c’est un illustre écrivain.

- Ah, ça y est ! J’ai compris ! Tu me racontes n’importe quoi et quelque indice doit se trouver dans tes phrases pour que je devine la ville dans laquelle je dois me rendre.

- Non, Jimmy-Joyce, vous n’avez rien compris. Quand il s’agit d’étalonner le degré d’alcool d’une vodka, vous êtes là mais niveau culture, c’est zéro.

- Jean Polsartre a réellement existé ?

- Oui. Vous allez rechercher dans quelle ville ce grand homme nous a quittés, vous vous rendez devant l’hôtel de ville et vous me contactez.

- Mais là c’est plus qu’un indice ! Tu donnes la réponse au plus abruti des espions qui pourrait nous écouter !

- Vous m’avez poussée dans mes derniers retranchements. J’attends votre appel. Ce soir si possible.

- Je ne te décevrai pas.

- On verra bien ! Et, au fait, Bratislava se trouve en Slovaquie.

- Je sais ! Pourquoi me dis-tu ça ?

- Pour rien.

Et elle raccrocha. Je rebranchai le tounophone qui s’étrangla avant de retrouver le fil de la chanson. Je réalisai un saut de main, me redressai devant l’étagère et je saisis une encyclopédie. Mon doigt survola l’Histoire polonaise et fit demi-tour face à un poltron. Polsartre. Il est mort à…C’est où ça ?

vendredi, avril 15 2016

Ibidem - Chapitre 10 / 12 - Pas de faire-part pour annoncer de mauvaises nouvelles.

Chapitre 10 / 12

Pas de faire-part pour annoncer de mauvaises nouvelles.

Alors que tous, Lorenza, Morteperse, Boris Peterson et Ivan Lockwood me considéraient avec gravité suite à mon geste déplacé envers le souffleur, une élégante jeune femme entra dans la pièce. Le badge luisant accroché à sa veste suffisait à faire d’elle une hôtesse d’accueil. Elle serait mon alliée en s’apprêtant à claquer les bulles des éphémères glorioles de mes concurrents. Elle s’avança d’un pas lent, le visage fermé, vers Morteperse.

- Monsieur Morteperse ? interrogea-t-elle.

- Oui ! Ma femme est-elle enfin arrivée ?

- Pas vraiment ! Pas du tout même ! Elle a été rectifiée ce matin.

- Comment ça « rectifiée » ?

- Veuillez m’excuser, je me laisse emporter par mes lectures des romans noirs de Mortimer Klagston.

Coïncidence ou pas, sous le bureau, par la petite trappe du souffleur depuis laquelle il suivait la scène, Lulu Ragourdin vomit la paella ingurgitée un peu plus tôt à l’énoncé du nom de l’écrivain qui l’avait éconduit et insulté. L’hôtesse poursuivit.

- Nous avons eu l’immense douleur d’apprendre, il y a vingt-cinq minutes, le décès accidentel de votre femme. Dès que j’ai appris ça, je suis venu, prenant juste une pause de dix minutes en chemin pour prendre un café et parler à mes amies de mon week-end à Saint-Malo.

- C’est vrai que c’est beau Saint-Malo, gémit Morteperse.

Apprenant cette triste nouvelle, Lorenza eut un sourire narquois qu’elle ne chercha pas à cacher. Boris et Ivan, derrière leurs lunettes noires, restaient impassibles. Morteperse transpirait des yeux, faisait un rond avec ses lèvres et laissait échapper des cris de hibou, alternance de « Hou » et de « Hu ».

L’hôtesse, visiblement navrée par le manque de réaction des deux hommes aux lunettes noires, vînt vers eux. Elle approcha ses lèvres à dix centimètres de celles de Peterson.

- Vous avez entendu ? lui demanda-t-elle.

- Oui, sa femme nous a quittés. Et alors ? Que voulez-vous que cela me fasse ?

- Itou, répondit l’hôtesse.

Boris Peterson se leva brusquement, faisant basculer son siège. En hurlant, il s’allongea au sol, le visage plaqué dans ses paumes. Elle se tourna alors vers Ivan Lockwood.

- Itou, répéta-t-elle.

La première pensée qui assaillit Ivan Lockwood fut de s’immoler par le feu. Et le premier liquide inflammable auquel il songea, si on omet l’urine de Lulu Ragourdin, fut la vodka contenue dans ma troisième flasque. Il me l’arracha des mains, l’ouvrit et vida la moitié du volume sur sa chemise. Je lui repris la flasque alors qu’il cherchait vainement de quoi embraser le liquide incolore dont il s’était aspergé. N’apercevant sur le bureau de Lorenza qu’une loupe avec laquelle il aurait pu concentrer les rayons du soleil, Ivan Lockwood se sentit honteux de s’être lancé dans une tentative aussi aléatoire et se rassit en pleurant comme il était de bon ton de le faire lorsque l’on apprend le décès de quelqu’un de proche.

- Suivez-moi, lança l’hôtesse, aux trois hommes éplorés.

Le cortège funèbre quittait la pièce. Les trois hommes baissaient la tête. Lorenza, indifférente, me fixait. Je regardais le plafond en sifflotant Who’s the guy who fill holes of my bowling ball with glue ?, un air de musette des plus indus dans cette situation. Et je gardai en mémoire ce mot capable d’anéantir n’importe quel homme : « Itou » !

- Il me semble que la fin de partie vous soit favorable Sainte-Clark, me sourit Lorenza en revenant à des considérations plus professionnelles.

- Oui, Noël Joyeux et Bonna Niversaire n’ont qu’à bien se tenir, je ne leur ferai aucun cadeau !

- Je vous fais confiance.

- Tu as raison Lorenza, le souci de bien faire est la seule chose qui m’ibnobule,

- M’obnubile, reprit-elle.

- Oui, ne joue pas sur les mots, ce que je veux dire c’est que le résultat est là, le destin a choisi pour toi lequel des trois candidats était le plus à même de prendre en charge cette mission.

- Vous appelez ça le destin ? Trois décès dans la même matinée. Tout de même, c’est étrange !

- Dis que c’est moi qui ai fait le coup tant que tu y es ! m’emportai-je.

- Oui, bon, calmez-vous, le principal est que vous ayez décroché le poste.

Notre échange s’arrêta sur ces mots. Lorenza me donna congé, m’indiquant seulement qu’elle me contacterait par téléphone pour me donner de plus amples informations sur les deux crapules à éliminer.

mardi, avril 12 2016

Ibidem - Chapitre 9 / 12 - Pas de respect pour le souffleur.

Chapitre 9 / 12

Pas de respect pour le souffleur.

Après quelques vérifications d’usage à l’entrée du bâtiment, je me retrouvai derrière une porte sur laquelle était vissée une plaque portant l’inscription « Direction générale ». Une rasade de vodka fut la bienvenue et m’aida à pousser la lourde porte. Du moins, je pensai que pour supporter une telle plaque, avec deux mots qui se tenaient là comme deux stèles sous le chant du clairon, il fallait que la porte soit massive. C’était une feuille à cigarette. Si bien qu’elle m’échappa des mains et alla claquer contre le mur porteur du chambranle dans lequel la poignée ne manqua pas de s’encastrer. Surpris, je lâchai ma flasque de vodka et un pet sonore qui gonfla légèrement le pantalon bouffant de mon survêtement vert vif. Mais, désireux de montrer à la petite assemblée que je ne perdais jamais le contrôle de la situation, je fis comme si mon entrée avait été des plus ordinaires.

- Salut la compagnie, je m’appelle Jimmy-Joyce Sainte-Clark.

- Bonjour monsieur Sainte-Clark, nous désespérions de vous voir un jour, dit une belle brune qui se tenait debout derrière l’unique bureau de la pièce, nous allions juste entamer la cinquième cafetière.

- Je suis désolé, mentis-je.

- Vous avez un sacré culot d’oser me mentir après une entrée aussi inconvenante, m’asséna-t-elle en pensant à Nice, ville dans laquelle elle avait passé son enfance.

- Oui, je suis désolé, dis-je sincèrement.

- Voilà qui est mieux ! Je suis Lorenza Andretti-Gabanna, poursuivit-elle, la directrice de l’agence secrète. Sur ma droite, un membre éminent de l’agence, il s’agit de mon bras droit. Il signe les documents les plus sensibles qui soient. Si j’avais été gauchère, je vous aurais parlé de mon bras gauche. Mais non, aujourd’hui sur ma gauche, debout et plus ahuri que jamais, se trouve monsieur Morteperse, mon assistant qui a oublié chez lui les sujets de votre examen. Selon ses dires, sa femme est en route pour nous les apporter.

- Je vous assure, gémit Morteperse, elle sera bientôt là. Elle possède une puissante berline noire et culottée comme elle est, elle n’hésitera pas à demander son chemin à un passant. Elle sera bientôt là, je vous le répète.

- Vous en êtes sûr ? demanda Lorenza. Cela fait deux heures que vous geignez ça !

- Mais oui, assura Morteperse, j’en suis sûr, aussi sûr que mon frère est médecin dans une clinique un peu plus haut dans la rue.

- Pourquoi toutes ces allusions ? demandai-je à Morteperse. Vous savez quelque chose ?

- Quelque chose à propos de quoi ? rétorqua-t-il.

- Bon, coupa Lorenza, les guignols, j’arrête de suite ces répliques dignes d’un mauvais concours d’improvisation théâtrale et je vais distribuer personnellement les cartes parce qu’à vous deux vous nous avez déjà fait perdre un temps précieux. Alors, Morteperse, vous avez juste le droit de vous taire et vous Sainte-Clark, vous vous asseyez sur cette chaise face à mon bureau et je vais vous présenter les deux autres candidats qui comme vous tenteront de décrocher l’ordre de mission le plus prometteur qu’ait jamais connu notre agence. Un passage à la postérité assuré.

Je pris place. Lorenza, qui avait décidément la langue qui se balançait sous le gibet, continua à accaparer la parole.

- Sainte-Clark, les deux hommes qui se trouvent à votre gauche ont des mâchoires carrées, portent des lunettes noires, des costumes sombres et impeccables, des cravates nouées à la perfection et des parfums poivrés qui captivent l’odorat et brouillent les autres sens, altérant ainsi l’attention de quiconque. Ce sont des agents secrets terriblement efficaces et rigoureux, qui n’oublient jamais d’agir avec classe, dans le raffinement et l’élégance la plus absolue. Monsieur Sainte-Clark, connaissez-vous l’amour du travail bien fait et la bienséance qui vont de pair avec votre rang ?

Comme j’étais occupé à suivre du regard une araignée qui courait sur le plafond, je n’avais pas prêté attention à la question posée. Ce pourquoi je ne répondis pas. Le contraire eut été illogique. Lorenza interféra.

- Sainte-Clark ! Tout va comme vous le souhaitez ? hurla-t-elle.

- Si vous me le demandez, je prendrais bien un petit café, tentai-je.

A aucun moment, je ne pris conscience du culot que j’avais de faire cette demande. Je m’aperçus juste que personne ne me servit. Lorenza soupira.

- Je vous présente donc Boris Peterson dont la femme est boulangère et trompe son mari avec un tailleur de pierre, quel pétrin !

Ledit homme tressaillit, rougit brusquement et se rembrunit presque aussitôt.

- Le troisième et dernier candidat est Ivan Lockwood dont la femme s’appelle Loraine et assiste un médecin dans une clinique proche de l’agence.

L’intéressé plaça son poing devant ses lèvres et toussota. Cette façon de présenter un agent secret en se référant systématiquement aux activités de son épouse me semblait des plus singulières. Comme si Lorenza avait connu mes agissements matinaux. Je souris de me sentir coupable, je n’avais rien à me reprocher.

- C’est peut-être la clinique dans laquelle mon frère exerce, ajouta Morteperse.

- Peut-être bien mon cher Morteperse, le rembarra Lorenza, mais si je vous ai demandé de vous taire, c’était justement pour éviter que vous n’alimentiez la discussion avec des remarques aussi inintéressantes.

Morteperse lâcha une larme. Lorenza exposa la mission de manière lapidaire : « Eliminer Noël et Bonna ». Peterson, Lockwood, Sainte-Clark. C’est à l’un de ces trois agents secrets que reviendrait l’immense honneur de mettre derrière les barreaux le couple mythique du grand banditisme. Noël Joyeux et Bonna Niversaire formaient un couple de truands impitoyables et sanguinaires. Leurs actions d’envergure les plus célèbres, financées pour la plupart par le cheikh Evara, sont l’attaque de la pâtisserie du centre-ville de Bourg-la-Reine, la crucifixion de huit chats près du Colisée à Rome et une attaque à la boule puante dans un sous-marin russe plongé en mer de Barents.

- Bon, dit Lorenza en tapant dans ses mains, nous n’attendrons pas la femme de ce brave Morteperse pour commencer le test. Je vous poserai seulement trois questions pour lesquelles je vous proposerai plusieurs choix. Je vous laisserai vingt minutes de réflexion après vous avoir posé les questions, celles-ci étant relativement ardues.

Je me donnai un peu de courage en prenant une lampée d’un liquide incolore dont je finis là ma seconde flasque.

- Tout d’abord, débuta Lorenza Andretti-Gabanna, où êtes-vous si un commerçant vous demande « Avec ceci ? »…Dans une boucherie ? Dans une boulangerie ? Ou alors dans l’un ou l’autre de ces deux commerces ?

Voilà que la première question me plongeait déjà dans une profonde perplexité. Lorenza pointa alors du doigt une photographie encadrée fixée au mur.

- Sur cette photographie, reprit-elle, le petit lièvre roux nous fait-il signe avec la patte droite ou la patte gauche ?

- N’allez pas si vite, dis-je.

Lockwood et Peterson laissèrent échapper de petits rires aigus, pensant sûrement que je feignais d’avoir des difficultés. Je fis alors un clin d’œil exagéré en me tournant vers eux pour leur indiquer que j’acceptais avec un bonheur comble le rang de boute-en-train en chef auquel leurs rires m’avaient promu. Le désenchantement fut complet lorsque je me tournai vers ma feuille. Je n’avais pas encore répondu à la première question, dont l’intitulé m’échappait maintenant, que Lorenza posa la troisième.



- Enfin, dernière question ! Quel nombre vous demande de répéter un médecin en plaçant son stéthoscope dans votre dos ? Trente trois ou Trois mille trois cent trente trois ?

- Comment ? C’est déjà terminé ? s’étonna Peterson.

- Ces questions saugrenues sont autant d’insultes à nos intelligences, s’enflamma Lockwood, n’est-ce pas Sainte-Clark ?

- Tout à fait. Elles sont tellement simples que j’ai presque envie de ne pas y répondre.

Je profitai de ce début de protestation pour me ressaisir et retrouver un semblant de paix intérieure. Hasard ou fait exprès, les trois questions avaient fait apparaître devant moi les spectres de mes victimes matinales. Il me fallait trouver de l’aide.

- Aïe ! hurla le souffleur, qui se trouvait sous le plancher et dont le visage m’apparaissait par une petite trappe sous le bureau.

Je venais de lui asséner un violent coup de pied dans l’oreille car mes sollicitations antérieures, plus discrètes, accompagnées de regards paniqués n’avaient eu pour effet que de le faire sourire.

- Alors Sainte-Clark ? Un ennui ? questionna Lorenza.

- Non, j’ai une crampe au mollet droit, mais ça va déjà mieux.

- J’ai cru que c’était…Non, c’est idiot, a-t-on déjà entendu un souffleur hurler ?

Le souffleur aurait pu hurler « Oui » mais il ne souhaitait pas entrer dans l’intrigue. Il avait quitté son trou et commençait à marmonner. Tous les occupants de la pièce tendaient l’oreille pour entendre les plaintes du souffleur qu’on devinait maintenant cheminer sous le plancher du bureau.

- On m’avait dit que ça serait un petit boulot tranquille, pestait-il, un boulot qui permettrait à un étudiant de se faire un peu d’argent de poche.

- Et alors, vous êtes exploité ici ? lui demanda un homme éméché qui l’avait rejoint dans les couloirs souterrains le long desquels le souffleur tentait de dissiper sa colère.

- Non, pas du tout, répondit-il, mais on ne m’avait pas dit que je tomberai sur un fou furieux qui me savaterait le visage, qui m’extorquerait des réponses qu’il prétend connaître. Vous comprenez ?

- Ben oui, ce que je comprends surtout c’est que vous laissez votre poste vacant.

- Oui, pour deux raisons, là-haut un homme ayant un fort penchant pour la vodka use de la force et improvise à chaque réplique. De ce fait, je me sens inutile et menacé. Je m’en vais, je fais jouer mon droit de retrait.

- Je vous remplace sur-le-champ ! s’enflamma l’intrus.

- Si ça vous chante, lança le souffleur par-dessus son épaule.

- Retenez bien mon nom, beugla l’homme ivre, je m’appelle Lulu Ragourdin et je ne vous décevrai pas.

« Si personne ne me cherche, vous lui direz que vous ne m’avez pas vu ! » servit de réplique au souffleur alors qu’il s’enfonçait maintenant dans le couloir obscur qui menait aux coulisses. Cette réponse incohérente laissa Lulu sans voix. C’était justement le but escompté par le souffleur qui voulait mettre fin à cette discussion stérile.

vendredi, avril 8 2016

Ibidem - Chapitre 8 / 12 - Pas de vent dans les cheveux pour le conducteur de la décapotable rouge.

Chapitre 8 / 12

Pas de vent dans les cheveux pour le conducteur de la décapotable rouge.

Je marchai d’un bon pas, au milieu de la chaussée, rue des Chercheuses. D’un très bon pas même. Si bien que je finis par dépasser la décapotable rouge que je suivais depuis dix minutes. A l’intérieur, un jeune homme, affalé sur son siège en cuir, lunettes noires sur le nez. Une clope oubliée dans le coin des lèvres lâchait ses cendres sur une chemise blanche et donnait au quidam un air blasé des plus détestables.

- C’est dommage de ne pas profiter davantage de ce beau jouet, l’interpelai-je.

- Mais je suis déjà très en retard alors je préfère ne pas accélérer.

Je ne sus pas s’il s’était là moqué de moi. L’outrecuidant conducteur possédait le moyen de me faire gagner du temps et l’incohérence de sa seule réplique de la nouvelle me permit de me substituer à lui sans trop de scrupules. Il aurait en effet été irresponsable de ma part de laisser le volant entre les mains d’un faible d’esprit. Alors je hurlai juste « Réquisition ! » en l’empoignant, je rendis ses semelles à l’asphalte, m’installai à sa place et j’appuyai sur le champignon. Bien entendu la morille s’écrasa sous mon pied. J’utilisai l’accélérateur ce qui fut, sans commune mesure, un meilleur moyen de faire avancer la voiture. Je compris ce que le jeune fou avait insinué tantôt. Plus j’accélérai, plus l’aiguille des minutes s’affolait sur le cadran de l’horloge. Un mauvais branchement avait couplé les deux mécaniques. En tentant de gagner du temps, je perdis près de deux heures. Mais, au final, j’atteignis tout de même le lieu escompté : j’avais garé le cabriolet contre un lampadaire. Plié, ce dernier pointait en direction d’une clinique.

mardi, avril 5 2016

Ibidem - Chapitre 7 / 12 - Pas d'attente pour les patients de Loraine.

Chapitre 7 / 12

Pas d'attente pour les patients de Loraine.

- Vous avez mangé de l’andouillette ce matin ? me demanda Loraine en replaçant son décolleté.

- Non, ça m’arrive parfois mais pas ce matin, répondis-je, penaud, en frottant ma joue gauche, marquée par cinq doigts rouges.

- Comprenez-moi Monsieur Sainte-Clark, j’aime les gens qui prennent des initiatives mais un bouche-à-bouche, ça ne s’improvise pas.

- Mais alors ? Je ne comprends pas ! Je pensais que ce malaise était un simulacre pour me permettre…

- Suffit ! m’asséna Loraine, je n’ai pas de temps à perdre. Parlez-moi plutôt de votre père ! Comment s’appelle-t-il ?

- Monsieur Sainte-Clark !

- Pas de doute, c’est bien lui.

- Qui ça « lui » ?

- Feu notre directeur ! Toutes mes condoléances, dit-elle en feignant un sanglot.

- Pourquoi me dis-tu ça ?

- Il nous a quittés tôt ce matin.

- Bon sang ! Et moi qui avais rendez-vous pour déjeuner avec lui ce midi.

- C’est tout ce que vous trouvez à dire à une heure aussi grave ?

- Non, je constate une nouvelle fois l’immense modestie de mon père. Il était directeur de clinique et il nous…Et c’est de ma mère et de moi-même dont je parle…Il nous a toujours fait croire qu’il était brancardier.

- Brancardier ? Avec le handicap dont il souffrait ? Vous l’avez cru ?

- Comment ça ? Arrête de faire des mystères !

- Il était quand même…cul-de-jatte ! Excusez-moi d’être aussi crue.

Je n’avais pas compris le terme aux consonances turques que Loraine avait employé : « kudjat ». Mais je répondis sans hésiter.

- Kudjat ? Possible ! J’ai une très mauvaise mémoire visuelle. Mais une chose est sûre, cela ne l’empêchait pas de travailler d’arrache-pied.

- C’est d’une finesse ! Mais j’ai l’impression que nous ne parlons pas du même homme.

- Posez-moi des questions à son propos et nous verrons bien.

- D’accord ! Votre père était bien somnambule ?

- Ben voyons ! Pourquoi pas jongleur ? Non, il avait déjà le vertige en montant sur une chaise alors faire le mariole en marchant sur un fil, je ne pense pas.

- En marchant ? Mais il était cul-de-jatte !

- Ah oui c’est vrai, c’est étrange. On pourrait même se demander ce qui l’a poussé à devenir somnambule.

- Je ne pense pas qu’on le choisisse. Feu votre père me racontait que, souvent, contre son gré, il se levait et allait à travers bois durant la nuit. Heureusement qu’il était nyctalope !

- C’est ignoble ce que tu me racontes, j’en ai la nausée. Si je retrouve ceux qui l’obligeaient à faire ça.

- Ne dramatisez pas. Il le vivait plutôt bien. Et j’ai toujours été la première à venir en aide à votre père. Notamment lors de ses crises d’angoisse. C’était tout de même un drôle de paradoxe pour un directeur de clinique d’être hypocondriaque à ce point, non ?

- Pocondrillac ? Non, je ne trouve pas, je vous rappelle qu’il était kudjat, dis-je d’un ton assuré, le fait d’être kudjat semblant être une excuse fourre-tout.

- Je ne vois vraiment pas le rapport !

- Moi, il me paraît évident le rapport !

- Ah ? Vous êtes vous-même hypocondriaque ?

- Euh…Juste un peu ! Je suis moyen en pocondrillac.

Tandis que je répondais à ses questions, je remarquai que Loraine griffonnait discrètement une feuille de papier posée sur ses genoux. Je renversai ma tête en arrière tout en me cambrant sur ma chaise. Je partis dans un rire saccadé et démoniaque. Je me redressai et j’écarquillai les yeux au point de les exorbiter.

- Que suis-je pour toi Loraine ? demandai-je en la fixant du regard. Un jouet ? Un bouffon ? Au mieux un sujet d’étude ? Tu crois que je ne te vois pas, là, en train de prendre tes notes avec la discrétion d’une collégienne qui triche pour la première fois.

- Comment ça Monsieur Sainte-Clark ?

- Ne joue pas à l’innocente avec moi Loraine ! Ca commence par des œillades de gourgandine pour appâter le lourdaud, moi en l’occurrence. Ca continue par un test bidon et ensuite tu fais mine de t’intéresser à moi, à mon père. Et derrière cette discussion au cours de laquelle tu tentes de simuler la sympathie, le test continue, implacable. Et tu t’amuses, tu plantes tes banderilles.

- Comment ça ? bredouilla-t-elle.

- Tu crois que je n’ai pas remarqué ces mots qui n’existent pas : « kudjat », « hictaclope », « pocondrillac » placés là juste pour me faire réagir.

- Non, je vous assure que non, il y a méprise !

- Ouais, moi aussi je te méprise Loraine

- Voyons, calmez-vous ! Vous voyez le mal partout ! Mon seul souci est que vous vous sentiez à l’aise, que vous ayez confiance en moi !

Je me levai brusquement, ce qui fit sursauter Loraine, et saisit la feuille sur laquelle elle prenait des notes succinctes. Avant de lui recoller la feuille froissée sous le nez.

- Et tu veux que j’aie confiance alors que tu es la première à me tirer dans le dos ? lui demandai-je. Toi, Loraine, tu voudrais me faire croire que tu es avec moi, que tu vas lutter à mes côtés ?

- Arrêtez Monsieur Sainte-Clark, votre charisme de pacotille ne parvient pas à faire passer toute l’émotion de cette scène touchante qui n’est qu’un pur plagiat de la page 157 du dernier roman noir de Mortimer Klagston. En revanche, le caractère pathétique est très bien rendu tant vous êtes ridicule. Lisez au moins la feuille que vous me mettez sous le nez !

- Semoule, poivrons, pois chiches…

Je levai les yeux vers elle. Cela méritait une explication.

- Mes parents me rendent visite ce soir et je pensais préparer un couscous.

A cet instant précis, je sentis une faille s’ouvrir à l’intérieur de mon corps et engouffrer mon cœur, mes tripes et mes tempes. Je me laissais tomber dans le fauteuil et j’ouvris une seconde flasque de vodka. Je baissai la tête, trop fier pour lui montrer mes larmes.

- Alors ce que je vous raconte depuis une heure, ça vous est bien égal, dis-je la voix nouée.

- Mais bien sûr que non ! Il n’y a aucun problème, tu peux venir ce soir, mes parents seront heureux de partager le repas avec toi.

Pour la première fois, Loraine me tutoyait. Cela me fit un bien incroyable.

- Tu peux même dormir chez moi si tu veux, continua-t-elle.

- Avec toi ? osai-je.

- Seulement si tu aimes la choucroute.

- J’adore ça mais…

- Au fait, pour ta collection…Je t’ai ramené, directement du Viêt-nam, un de ces petits hippopotames fuchsia en faïence que tu adores.

Mais comme les réponses de Loraine me semblaient délirantes, je levai les yeux et me redressai dans le fauteuil. Elle raccrocha le combiné de son téléphone.

- Excusez-moi, dit-elle en souriant, j’étais en ligne avec un ami.

C’en était trop. La série des brimades s’allongeait comme si elle devait ne jamais s’achever. Je ne voyais qu’un moyen d’y mettre un terme. Je caressai le chien de mon fusil. Je vissai un silencieux car il s’était mis à japper.

- Mais bon sang Loraine, qui est cette personne derrière toi ? demandai-je en utilisant un subterfuge usé jusqu’à la trame.

- Ne vous fatiguez pas Jimmy-Joyce. Avant que vous ne m’assassiniez froidement, je vous rappelle que je dois vous faire subir un examen médical sommaire.

Elle sortit un stéthoscope de la poche de sa blouse immaculée et me le colla contre le front.

- Dites « trois mille trois cent trente-trois », me demanda Loraine.

- Je n’ai jamais entendu ça ! Les médecins demandent de dire « trente-trois » d’habitude, non ?

- Pas forcément, c’est pour vous éviter de répéter « trente-trois » et puis là, ce n’est pas « d’habitude » dit Loraine d’un air absent, comme si elle était déjà occupée à parlementer avec la Mort qui, elle, patientait dans la salle d’attente aiguisant sa faux en vue de la terrible besogne dont je m’apprêtais à la charger.

- Ah ? Qu’y a-t-il de si différent aujourd’hui ?

- La disparition de votre père ? Cela ne suffit pas ?

- C’est juste, c’est un fait notable !

Loraine s’impatientait. Elle détestait faire attendre ses patients, fusse la Mort.

- Ecoutez Jimmy-Joyce, vous m’êtes bien sympathique mais vous n’êtes pas seul et je ne peux prolonger la consultation plus longtemps. Je vous conseille de vous rendre dans une autre clinique qui se trouve un peu plus bas dans la rue si vous désirez prolonger plus avant ces examens.

Je compris alors que mes doutes du début de la matinée étaient fondés. J’étais dans une véritable clinique et donc très en retard pour mon examen.

- Mince, je suis terriblement en retard, pestai-je, en ouvrant la porte, désireux de m’éclipser au plus vite.

C’est probablement à cet instant que la Mort a pénétré dans la pièce. Je me retournai pour lancer un dernier regard vers Loraine, en guise d’adieu. Mais en entendant ma dernière réflexion, Loraine avait machinalement tourné la tête vers l’horloge qui se trouvait derrière elle. Pour Loraine, la trotteuse arrêta sa course à l’instant où la Mort posa son index à l’arrière de son crâne. On ne se moque pas impunément de Jimmy-Joyce Sainte-Clark.

vendredi, avril 1 2016

Ibidem - Chapitre 6 / 12 - Pas de nouvelle pour Lulu Ragourdin.

Chapitre 6 / 12

Pas de nouvelle pour Lulu Ragourdin.

Lulu avait l’habitude de voir les portes se refermer sur lui. En réalité, être personnage de nouvelle était le rêve le plus cher de Lulu Ragourdin. Mais, comme aucun auteur ne s’intéressait à lui, il s’invitait parfois dans les écrits de Jorge Patoncas ou de Mortimer Klagston. Ce dernier détestait Lulu. Il avait même déclaré à la presse « Cet ivrogne est tellement imbibé d’alcool que son urine en est devenue un liquide inflammable ».

Mais Lulu, fut-il un amoureux avoué des boissons fermentées, n’en avait pas moins un cœur et il fut très affecté par cette virulente vomissure dudit Mortimer. La dépression nerveuse qui l’affecta suite à cette annonce ralentit davantage encore sa recherche d’un rôle dans une quelconque nouvelle.

Mais comme on dit : «  Pas de nouvelle, …

mardi, mars 29 2016

Ibidem - Chapitre 5 / 12 - Pas de Q pour l'alphabet.

Chapitre 5 / 12

Pas de Q pour l'alphabet.

J’entrai dans le bureau de Loraine avec l’intention d’engager une discussion enrichissante et enlevée où la drôlerie ponctuerait avec délice un débat aux accents philosophiques et culturels, nous nous gausserions de la bêtise humaine, je lui parlerai du clair-obscur de Rembrandt et, les larmes aux yeux, avec l’ardent désir de se blottir dans mes bras, elle évoquerait les poèmes de Verhaeren. Tout ne serait pas si facile. Mon survêtement vert vif et mon sourire béat la confortèrent dans l’idée que j’étais un patient de la clinique psychiatrique. Et le docteur Morteperse avait eu la géniale idée de faire retentir le coup de feu alors que je refermai la porte derrière moi. Si bien que la brave et plantureuse Loraine a cru que j’avais claqué la porte avec violence.

- Il serait dans votre intérêt de vous calmer ! m’asséna-t-elle d’entrée de jeu.

Mais comme je n’avais pas compris pourquoi elle m’avait fait cette remarque, je crus qu’il s’agissait d’une sorte de test psychologique pour jauger mes réactions.

- Allez Loraine, dis-je en m’asseyant sur son bureau, tu peux rester naturelle avec moi. On va tout de suite arrêter les petits jeux. Moi, j’ai envie de spontanéité. Tu vois ce que je veux dire ? L’amour dans les champs de blé, la vie de Bohème et tout le toutim.

- Oui oui, moi aussi, dit-elle sans vraiment prêter attention à ce que je disais.

- Par exemple, si je te dis que j’ai envie de t’embrasser, tu réponds quoi ?

- Ca y est, dit-elle en posant une pile de papiers sur son bureau, j’ai retrouvé l’énoncé du test que vous devez passer.

Je comblai ce cruel manque d’intérêt en vidant d’un trait ma première flasque de vodka. Pendant que je m’efforçai de répondre brillamment aux questions posées, Loraine couvrait, au feutre rouge, les copies d’autres candidats avec des signes géométriques auxquels je prêtai des significations extraordinaires. Vînt mon tour. Et, tandis que Loraine corrigeait ma copie, je m’étais levé et, guilleret, amusé par la facilité du test, je laissais ma joie s’extérioriser. Je reprenais, dans une bouillie d’anglais, les paroles de Darling, I’ve always told you to pull the handbrake up when you park on the edge of the cliff, un rock monstrueux de Div Clay-King qui avait fait chavirer le Tennessee dans une douce hystérie durant les années soixante. Ma main droite posée au niveau de l’entrejambe, l’autre en l’air, comme un concurrent de rodéo accroché à un taureau en furie, j’avançai par de légers déhanchements tout en poussant de petits cris aigus d’animal en danger. Loraine, atterrée, me regardait fixement, les lèvres disjointes.

- Ca t’épate ça, hein Loraine ? demandai-je.

Loraine opina du chef, gênée pour moi, ne comprenant pas qu’on puisse se donner en spectacle de la sorte.

- Et ça, tu sais faire ? la relançai-je.

J’enfilai le bras droit dans l’encolure de mon survêtement vert vif, dont l’élasticité n’était qu’un lointain souvenir, et, évacuant l’air de l’aisselle du bras opposé, je reproduisis le bruit de grasses flatulences.

- Et ça ? demandai-je, la voix étranglée par un rire béat.

- Non, non, restons-en là, m’arrêta-t-elle.

Mais Loraine avait à peine articulé le premier mot de cette phrase que je m’étais déjà lancé en avant. Pendant deux secondes, les mains au sol et les pieds en l’air, j’avais tenu un équilibre précaire. S’il n’y avait pas eu cette douleur dans l’avant-bras gauche, j’aurais certainement tenu beaucoup plus longtemps. En tombant en arrière, j’avais décroché un tableau sous verre qui tomba le long du mur comme le couperet d’une guillotine et j’avais emporté un jéroboam d’éther qui éclata sur le sol avec grand fracas.

On toqua à la porte.

- Oui ! répondit Loraine en m’aidant à me relever.

Aucune réaction de la part de la porte.

- Je sais qu’il y a quelqu’un derrière cette porte ! Répondez ! s’agaça Loraine.

Toujours rien.

- Dernier avertissement ! hurla-t-elle en enfilant ses bottes crottées et en chargeant son fusil de chasse.

Alors que Loraine tenait une grenade, la goupille entre les dents, la porte s’ouvrit timidement et la tête d’un homme barbu, aux cheveux hirsutes, passa.

- Je suis paumé, geint-il, je fais quoi moi si vous ne me donnez pas la bonne réplique ?

- Quelle bonne réplique ? demanda Loraine.

- Ben… « Ca c’est le coup de patte à Lulu Ragourdin ! Ta mousse t’attend, hé l’avorton ! » débita le clochard.

Les yeux de Loraine demandaient à l’homme davantage d’explications. Moi, je n’écoutais que d’une oreille, occupé que j’étais à piler du pied les morceaux de verre de la bouteille brisée que j'avais entassés sous le tapis, au centre de la pièce.

- Vous venez pour quoi exactement ? demanda Loraine à l’intrus.

- C’est bien à ce moment que je devais intervenir ? Vous êtes bien Marceline, la poule aux yeux d’or, tenancière d’une maison close clandestine ? demanda l’olibrius couperosé.

- Jamais de la vie ! s’offusqua Loraine.

- C’est vrai que ça ressemble pas à une maison close ici. Oh c’est pas vrai, ragea le clochard, je me suis encore trompé de nouvelle, c’est pas dans celle-ci que je tiens un rôle apparemment.

- Attendez, ne vous fâchez pas, je vais vérifier, dit posément Loraine.

Elle sortit le script d’ « Ibidem » d’un tiroir de son bureau et chercha, dans la précipitation, quelques mots-clés qui auraient pu lui permettre de se repérer dans le déroulement normal de la nouvelle.

- Ah, ça y est ! dit-elle. « … qui tomba le long du mur comme le couperet d’une guillotine et j’avais emporté un jéroboam d’éther qui éclata sur le sol avec grand fracas. Alors que Loraine, effrayée par les gerbes d’éclats de verre, s’accroupissait pour me venir en aide, je me relevai brusquement, la basculai sur le bureau et déboutonnai… ».

- Ca va, il ne faut surtout pas vous gêner, me lança-t-elle méchamment, dégoûtée à lecture de ce qui aurait pu lui arriver sans l’intervention providentielle de Lulu Ragourdin.

Comme je m’efforçais de retirer le moindre éclat de verre qui s’était planté dans ma semelle après avoir troué le tapis – importé directement d’Afghanistan pour la modique somme de douze mille trois cent onze balles – je n’avais pas écouté la lecture du script et je pensais vraiment que Loraine me reprochait ma façon très personnelle de faire le ménage. Aussi, tandis que Loraine se tournait de nouveau vers Lulu Ragourdin, je roulai le tapis et entamai l’opération de ramassage des quatorze kilos de verre pilé.

- Si j’en crois le script, dit Loraine en s’adressant au sympathique clochard, vous ne deviez pas intervenir à ce moment-là…

- Peut-être un peu plus tard ? dit Lulu, tout sourire, exposant ses trois dents, bastions d’une caverne aux relents riches en liaisons –OH.

- Peut-être ? Qui sait ? lança Loraine en terminant ses interrogations par des sourires, ce qui grammaticalement était une erreur mais qui l’aida à ramener plus facilement Lulu Ragourdin jusqu’à la porte. Mais cette Marceline ne me dit rien, conclut Loraine avec dédain.

Et cette fois-ci, au lieu de terminer sa phrase par un point, elle claqua la porte au nez de Lulu Ragourdin. C’était grammaticalement faux également mais cela permit à la phrase précédente de contenir une rime et soulagea un peu Loraine. Elle se tourna vers moi et soupira.

- Vous connaissez ce fou ? me demanda-t-elle alors que je tendais fièrement mes deux sacs de jute emplis de morceaux de verre.

- Non, dis-je, je pose ça où ? demandai-je en désignant un des sacs du menton.

- Je n’en sais rien, dit-elle, mais c’est vraiment très urbain à vous d’avoir tout ramassé, le personnel d’entretien aurait pu s’en charger.

Ma lèvre inférieure trembla et mes yeux s’embuèrent. Je détestais que l’on me tourne en ridicule, que l’on m’humilie. Je n’ai pas rêvé, elle m’a enguirlandé pour que je ramasse le verre concassé et, à l’instant, elle se moque gentiment de moi parce que j’ai obéi à son injonction feutrée. Dépité, j’abandonnai les deux sacs contre le bureau autour duquel nous nous assîmes, en face l’un de l’autre.

- Bon, lança Loraine, si on parlait de votre test ? Je tiens à vous féliciter !

- C’est normal, les questions étaient extrêmement simples, dis-je, en baissant la tête, faussement modeste.

- Oh oh, pas de triomphalisme ! Ce que je voulais dire c’est que pour un homme aux capacités mentales limitées, vous vous en êtes relativement bien tiré. Mais certains autres patients ont fait mieux que vous.

- Comment ça ? Je ne comprends pas ce que tu veux dire…

- Par exemple, là, m’indiqua Loraine en me mettant ma copie sous le nez, vous écrivez « carré » alors que le dessin représente un cube, et là, encore, vous écrivez « rond » alors que…

- Chut, hurlai-je, je sais ! C’est une…boule ! On peut aussi dire « ballon » mais ce n’est pas exactement la même chose. Je m’en rappelle parce que quand j’étais petit, à l’école, il y avait un copain qui était gros et on l’appelait Bouboule.

- C’est bien, dit-elle en me souriant, j’aurais préféré que vous me disiez « sphère », c’est moins sympathique comme surnom mais ça prouve qu’on a un minimum de vocabulaire. Et, regardez, en écrivant votre alphabet, vous avez inversé les lettres X et Y et vous avez oublié la lettre Q. Vous connaissez la lettre Q ?

- Oui, j’ai dû vouloir répondre trop vite.

- Alors donnez-moi un mot qui commence par la lettre Q !

A brûle-pourpoint, aucun mot répondant au critère demandé ne me venait à l’esprit. Elle m’avait lancé ce défi comme elle m’aurait lancé un objet brûlant, il me fallait le recevoir au mieux. Mais sentant le poids de son regard et ne pouvant me détacher de ses lèvres déformées par un léger sourire, moqueur et presque impudent, j’esquivai cet objet brûlant.

- Bon sang ! Je n’en sais rien ! Voilà, tu es contente ? C’est un interrogatoire ? m’emportai-je en tapant du pied dans un des sacs emplis de verre.

- Calmez-vous, c’est juste pour connaître vos limites. C’est le jeu, je vous pousse à bout.

- Oui mais ça commence à bien faire : « Il est dans votre intérêt de vous calmer », « Ramasse le verre », « Bien urbain à vous d’avoir ramassé le verre », « Capacités mentales limitées ». Cela te fait plaisir de m’humilier, de jouer ta madame je-sais-tout ? Dès le début, en lisant l’enseigne « Clinique psychiatrique Sainte-Clark », j’ai su que dans les couloirs de l’agence-mère, mon nom faisait rire et que, depuis le temps que j’ai le dos tourné, ici dans la jungle de Malaisie, ou là, derrière le rideau des chutes Victoria sur le Zambèze, j’imagine facilement les millions de quolibets dont j’ai déjà fait l’objet.

- Quel est votre nom ?

- Ah, enfin une question à laquelle je sais répondre. Mon nom est Jimmy-Joyce Sainte-Clark.

- Non, incroyable ! Mais alors votre père est…bredouilla Loraine avant de perdre connaissance.

vendredi, mars 25 2016

Ibidem - Chapitre 4 / 12 - Pas de chance pour le petit lièvre roux.

Chapitre 4 / 12

Pas de chance pour le petit lièvre roux.

J’arrivai enfin Rue des Chercheuses. Je tentai d’évacuer le stress accumulé suite aux petites altercations matinales en m’infligeant un léger lavage de cerveau. Pour cela, marchant tête baissée, je répétai religieusement «  S’il vous plaît mademoiselle, pouvez-vous m’indiquer les commodités ? ». Je fus fort surpris lorsque, redressant la tête, une heure et vingt minutes plus tard, toujours Rue des Chercheuses, j’eus sous les yeux une énorme enseigne blanche sur laquelle on pouvait lire, s’étalant en larges caractères d’imprimerie bleu marine, l’inscription « Clinique psychiatrique Sainte-Clark ». Oui, la clinique factice qui cachait la maison-mère de notre organisation portait mon nom. Je pénétrai dans l’enceinte de la clinique et suivis une courte allée bordée de conifères nains. J’oubliai vite cette haie d’honneur minable, indigne de mon rang et, poussant violemment les deux battants de verre de la porte d’entrée, j’entrai à pas lents. La fluidité de mes mouvements me faisait ressembler à un guerrier immortel qui reviendrait victorieux d’une croisade menée en des temps immémoriaux. On ne se moque pas impunément de J-J Sainte-Clark. Je ne mettais jamais les pieds à l’agence mère alors la direction, ce foutu Morteperse en tête, en avait profité pour donner mon nom à l’agence, poussant même le vice jusqu’à accoler le mot « psychiatrique » à mon nom. C’était si drôle. Impitoyable, tel allait être le maître-mot de ma conduite à venir. On ne joue pas avec l’honneur de J-J Sainte-Clark. Les bureaucrates de l’agence allaient le découvrir à leurs dépens. Avec cette blague de collégiens c’est leurs propres vies qu’ils avaient mises dans la balance.

- Eh les planqués ! Il faut payer l’addition maintenant ! hurlai-je, seul au milieu du hall d’entrée.

- Pardon monsieur, veuillez vous calmer, c’est une clinique ici ! dit un homme dans mon dos.

Je ne me retournai pas, serrant les poings, tentant d’intérioriser ma rage, afin d’épargner la vie de ce malheureux. Mais la colère se montra plus pugnace que la raison et un rictus tordit mes lèvres à m’en défigurer. Tant pis pour lui, cet homme serait bientôt un martyr. « A Dieu vat ! Tu périras pour l’exemple ! » marmonnai-je. Je me retournai en souriant sadiquement. Jamais au grand jamais je n’avais vu un homme aussi imposant. Il s’appelait probablement Hercule et avait la taille de la constellation du même nom.

- Pardon, je n’ai pas entendu ce que vous disiez, grommela-t-il d’une voix caverneuse.

- Tant pis…lui assénai-je, usant là mon ultime cartouche de témérité.

- Comment ça « tant pis » ?

- Tant pis, je vais répéter…Pouvez-vous m’indiquer les commodités ?

- Les quoi ? grogna l’homme à l’uniforme.

- Exceptionnel, hurlai-je, vous jouez à la perfection votre rôle de vigile intellectuellement limité. Vous feignez de ne pas comprendre ce que je vous dis parce que j’ai oublié de vous dire « s’il vous plaît mademoiselle ».

- Attention à ce que vous disez monsieur ! Je ne frappe jamais les patients de la clinique mais je pourrais faire une exception pour vous.

- Oublions ce malentendu. Je suis de la maison aussi. Je vais répéter entièrement la formule magique : « S’il vous plaît mademoiselle, pouvez-vous m’indiquer les commodités ? ».

Je me réveillai une heure plus tard, dans l’obscurité, allongé sur un sol au carrelage glacé. Une main tâtonna à l’emplacement probable d’un interrupteur. Les néons vomirent leur lumière blanche et aveuglante. Un homme à l’air peu affûté qui portait le même survêtement que moi entra, un sourire de bienheureux sur les lèvres. Il urina dans un coin de la pièce contre le mur carrelé et sur la sacoche destinée à Monsieur Morteperse. Il partit en souriant. Je lui rendis son sourire dont je n’avais nullement besoin. C’est seulement maintenant que je remarquai que ma lèvre inférieure était fendue et qu’une de mes arcades, gonflée, était couverte de sang séché. Le vigile teigneux de l’entrée n’avait pas retenu ses coups et au lieu de me conduire au bureau de la direction, comme prévu à l’énoncé du mot de passe, il m’avait amené aux toilettes. Il y avait probablement un passage secret, il me fallait juste découvrir le moyen de faire pivoter un pan du mur ou d’ouvrir une trappe. Je me relevai et je commençai mes recherches. Je décrochai tous les miroirs, je vidai la bouteille de savon liquide qui dégoulina sur le sol, je tirai les chasses d’eau et démontai même les plaques constituant le faux plafond mais je ne découvris rien. J’époussetai mon survêtement couvert de poudre plâtreuse. J’entassai la demie-tonne de gravats accumulés suite à mes travaux de prospection et je me lavai les mains. Alors que je pressai le bouton du séchoir à mains électrique, un homme au costume et à la cravate sombres entra comme s’il y avait eu un lien de cause à effet entre ces deux actions.

- C’est vous le responsable de ce foutoir ? me demanda-t-il.

- Oui, j’étais bien obligé ! C’est sympathique de votre part de préciser le code secret pour entrer mais le coup du séchoir électrique, il aurait fallu l’indiquer en post-scriptum.

- Je ne comprends pas de quoi vous parlez. Vous êtes plombier ? Electricien ?

- Ne poussons pas trop loin cette mascarade. Est-ce que je vous ai demandé si vous étiez docteur ?

- Mais je suis docteur !

Je pouffai de rire.

- Ne te fatigue pas mon brave, je suis de la maison !

- Oui, j’ai bien remarqué votre beau survêtement vert. Suivez-moi !

Et je suivis l’homme qui se prétendait docteur le long de couloirs étroits où nous croisâmes des hommes et des femmes aux sourires béats et aux yeux fixes et globuleux qui portaient tous des survêtements identiques au mien.

- Ce sont des figurants ? demandai-je.

- Bien sûr, dit-il, et dans cette clinique, ils jouent à la perfection leurs rôles de patients.

Devant tant de cynisme, je ne savais plus que penser. Et si cette clinique était un véritable centre de soins psychiatriques. Le seul moyen de le savoir était de s’assurer qu’aucun salarié de cette clinique ne se nommait Morteperse. Mais quand le destin s’acharne, on ne peut lutter. Et si mes doutes étaient fondés et auraient pu me permettre de retrouver le chemin de la vérité, le dialogue qui suivit compromit définitivement les chances de me sortir de mes fourvoiements.

- Vous connaissez monsieur Morteperse ?

- Je le connais extrêmement bien ! C’est moi-même !

Nous nous installâmes dans de confortables fauteuils de cuir sitôt arrivés dans son bureau. On aurait cru le cabinet d’un véritable médecin. Mes condoléances, dis-je en lui tendant la sacoche tachée d’urine, votre femme m’a demandé de vous remettre ceci avant de rendre son dernier souffle. Comment ça ? demanda le docteur Morteperse, la lèvre inférieure tremblante.

C’est une situation à laquelle je n’avais jamais été confronté. Je ne savais comment lui annoncer la nouvelle alors j’essayais d’y mettre le plus de tact possible.

- Votre femme a cassé sa pipe sous mes yeux.

- Ah ? Comment cela s’est-il produit ? demanda Morteperse, sous le choc.

- Pour tout dire, l’ambiance n’était pas géniale. Cela avait pourtant bien commencé. Ce matin, en plein centre-ville, elle m’a abordé, baissant la vitre de sa berline noire, l’air aguicheur, le sourire vicieux, telle une gourgandine qui aurait voulu m…

- Je vous en prie ! trémola Morteperse, des larmes grosses comme des pommes pourries sur les joues.

- Quand on s’est quitté, elle avait moins fière allure, elle bavait et saignait à flots goulus. Rassurez-vous, c’est allé très vite, elle n’a pas souffert…Voilà monsieur Morteperse, je crois qu’on s’est tout dit…J’étais initialement venu passer un examen mais il y a fallu que ce drame vienne me gâcher la matinée. Bon, maintenant, je vous ai remis votre sacoche alors j’aimerais qu’on mette un terme à cette triste foire et qu’on aborde enfin des sujets sérieux…mon examen par exemple.

- Excusez-moi, pleurnicha Morteperse, je suis abattu.

- Comme votre femme, murmurai-je pour moi-même.

- Hein ? s’étonna Morteperse. Qu’avez-vous dit ?

- Rien, hurlai-je en renversant le bureau sur les genoux de Morteperse, je n’ai rien dit alors vous vous calmez, compris ?

- Excusez-moi, bredouilla le docteur, je m’emporte, j’avais entendu « Comme votre femme » comme si vous aviez avoué être son assassin, c’est absurde !

- Ouais…Et encore, je trouve que vous êtes gentil avec vous-même en vous limitant au mot « absurde ».

- Hmm…Mais, au fait, demanda Morteperse en remplaçant l’ampoule de sa lampe de bureau, brisée suite à mon accès de colère, dans quelles circonstances ma femme est-elle décédée ?

Je regardai ma montre, l’air excédé, et je poussai un long soupir.

- Je ne sais pas si j’ai vraiment beaucoup de temps à vous consacrer. Surtout que mon récit risque de durer un moment. Vous savez, votre femme a agonisé plusieurs heures, elle a terriblement souffert, dis-je contredisant mes dires précédents. Vous voulez vraiment que je vous parle de ses appels au secours, de ses regards pathétiques, de sa main tendue vers moi et de ses ultimes convulsions ?

- Oui, je vous en prie !

- Vous savez qu’est-ce que c’est un ravin ? demandai-je à Morteperse.

- Un ravin ? En plein centre-ville ?

- Oh ! tonitruai-je, frappant du poing sur le bureau. Qui est-ce qui raconte ? C’est vous ou c’est moi ?

- Oui mais quand même ... Un ravin.

- Bon, allez-y, racontez la suite ! le défiai-je.

Morteperse, quelque peu irrité par mes sautes d’humeur, fit une petite moue d’enfant gêné et attendit que je reprenne la parole, sentant, circonspect, qu’il valait mieux se taire que de balbutier quoi que ce soit, fussent de plates excuses.

- Bon, je reprends. Pouvez-vous imaginer ces énormes camions qui filent à vive allure à travers le désert de l’ouest américain ?

Le docteur Morteperse me fixait, l’air bovin, en se demandant probablement si, oui ou non, j’étais un patient de la clinique. Il hocha légèrement la tête pour m’indiquer qu’il consentait à écouter mon récit jusqu’au bout.

- Hmm…ajouta-t-il pour accompagner son geste.

- Toutes sirènes hurlantes !

- Hmm…

- Sa tuyauterie chromée, dardée vers le ciel !

- Hmm…

- Telle un orgue qui implorerait les dieux !

- Hmm…

- « Epargnez la vie de cette malheureuse » dirait une timide prière !

- Hmm…lâcha Morteperse, plus dubitatif que jamais.

- Et là, l’imprévisible qui surgit, le monstrueux poids lourd dérape, se renverse, fait sept tonneaux et continue à glisser sur le flanc, emporté par sa phénoménale inertie, comme une bête blessée mais non résignée.

- Hmm…

- Pendant que le camion tournoyait sur le macadam, il faut imaginer la cargaison, éjectée partout aux alentours, des barriques de vin d’au moins cinq cent litres projetées à cinquante ou soixante mètres de hauteur … et éclatant au sol, une vraie mare de sang !

- Et ma femme ? demanda Morteperse.

- Aurais-je omis ce détail ? me demandai-je à voix haute, l’air désolé. Votre femme est morte !

- Merci de me le rappeler mais je voudrais juste comprendre le lien entre le décès de ma femme et cet accident de poids lourd.

- Le camion, renversé, fondait sur nous à presque cent cinquante kilomètres-heure. Les ridelles raclaient le bitume, soulevant des gerbes d’étincelles à quatre mètres du sol, dans un vacarme de guerre, né du métal et du feu, un peu comme…

Je saisis la lampe de bureau de Morteperse et la jetai contre la vitre en espérant reproduire le fracas que je m’efforçais de décrire. Le carreau céda facilement et, de ce fait, quasiment sans bruit.

- Qu’est-ce qui vous prend ? demanda Morteperse en se précipitant vers la fenêtre. Vous êtes fou ! Ma lampe !

- Taisez-vous ! dis-je, de manière à la fois autoritaire et nonchalante, en sortant ma flasque de vodka. Voyant la carcasse en feu qui grondait derrière elle, votre femme a juste eu le temps de me faire quatre bises et de démarrer. C’est alors qu’un lièvre a traversé la rue. Voulant l’éviter, votre femme a fait un écart et s’est faite embarquer par le camion fou. Foudroyée par le coup du lapin, votre femme n’a pas souffert. Et tous, le camion, votre femme, sa voiture et le petit lièvre roux ont fini dans le ravin, dans une énorme boule de feu.

- J’ai beaucoup de peine à croire à toute cette histoire. Un lièvre…Le coup du lapin…

- Oui je comprends, dis-je après avoir bu une bonne rasade de vodka, ça a l’air monté de toutes pièces, très romanesque, vous pourriez même croire que c’est moi qui ai inventé cette histoire, hein ?

- Hmm…

- Hein ? insistai-je.

- Oui, je pourrais croire que c’est vous qui avez inventé toute cette histoire.

- Mais ce n’est pas moi ! C’est un complot !

- Le lièvre avait comploté avec le chauffeur du camion peut être ? demanda Morteperse.

- Ne faites pas le malin avec moi ! lui assénai-je avant de prendre une goulée de vodka.

- Alors ? Qui ?

Je ne répondis rien, je griffonnai juste sur un papier : « Omerta. Rendez-vous demain. A midi. Place de l’hôtel de ville. ». Morteperse lut ma note.

- Pas possible, dit-il, je ne pourrai être là. Je me serai suicidé.

- Cela tombe plutôt bien, lui répondis-je, j’avais l’intention de vous poser un lapin

En entendant le mot "lapin" Morteperse gémit et laissa échapper quelques larmes.

- Venez, dit Morteperse, en m’invitant à passer dans le bureau contigu au sien. Voici Loraine, mon assistante, elle vous fera passer l’examen pour lequel vous êtes venu.

Le docteur Morteperse m’accompagna sous le chambranle de la porte et me poussa dans le bureau de Loraine. Sans dire un mot, il m’abandonna, retourna dans son bureau en refermant la porte qui séparait les deux pièces. Seul, le docteur réajusta sa blouse et, s’asseyant dans son siège de cuir, ouvrit un tiroir dans lequel il cachait une arme à feu d’un impressionnant calibre. Il se dit que sans sa femme, sa vie ne serait plus qu’un immense gâchis. Et certain d’avoir échoué dans sa quête du bonheur, de n’avoir pas compris le sens profond de la vie et d’avoir trop souvent mis la détente à l’index il décida de poser son index sur la détente de son pétard. Tandis que j’essayai de sympathiser avec Loraine en lui proposant une lampée de vodka, nous entendîmes une détonation provenant du bureau du docteur Morteperse.

De l’autre côté de la cloison, alors que la balle chatouillait sa luette, Morteperse se rappela qu’il était un célibataire endurci et qu’en conséquence aucune femme ne partageait sa vie.

mardi, mars 22 2016

Ibidem - Chapitre 3 / 12 - Pas d'occiput pour l'hystérique.

Chapitre 3 / 12

Pas d'occiput pour l'hystérique.

Je marchais lentement tout en me remémorant le code qui me permettrait d’entrer dans l’agence sans encombre : «  S’il vous plaît mademoiselle, pouvez-vous m’indiquer les commodités ? ». Une question simple et passe-partout. Cette insignifiante astuce et l’amour de la simplicité nourrissaient ma fierté d’être agent secret. Et je pensais sincèrement que mon enthousiasme béat et ma volonté de bien faire me suffiraient amplement à passer avec succès l’examen qui m’attendait dans une heure. J’avais tout prévu, ayant même enfilé mon survêtement vert vif au cas où l’examen comporterait des épreuves sportives.

Une berline noire s’arrêta à ma hauteur. La superbe conductrice baissa la vitre.

- Pardon monsieur, savez-vous où se trouve la Rue des Chercheuses, s’il vous plaît ? demanda-t-elle.

- Les femmes ne peuvent y accéder, dis-je, l’air railleur, auquel cas la rue s’appellerait Rue des Trouveuses !

- Très drôle, dit-elle sans esquisser un sourire, mais c’est urgent, je n’ai pas le temps de lézarder, moi !

- D’accord…Alors, vous prenez la première à gauche, dis-je en lui indiquant la première rue sur la droite, et vous continuez…

- Attendez ! me coupa-t-elle. Avant de continuer, vous me dites « à gauche » et vous m’indiquez la droite, je vais où ?

- Madame a le sens de l’humour aussi à ce que je vois !

- Je vous ai dit que c’était urgent ! hurla-t-elle.

- Ca c’est ma main droite ? demandai-je en levant ladite main.

- Vous vous fichez de moi ?

Sa réponse cinglante ne m’avança pas énormément. Je ris jaune.

- Allez, pesta-t-elle, c’est urgent, j’ai un document à apporter à la clinique.

Subitement, ma gêne s’effaça et laissa place à un air triomphant. Je venais de trouver une solution qui m’évitait de lui expliquer le chemin. Tant mieux, j’avais une légère tendance à confondre ma droite et ma gauche.

- Pas de problème madame, dis-je, c’est là que je me rends, confiez-moi votre document, il sera en sécurité.

- Je dois m’assurer d’une chose. Votre clinique, c’est une clinique « clinique » ou une clinique « pas clinique » ?

Apparemment, il y avait eu du grabuge en centre-ville car deux ambulances passèrent en trombe près de nous, toute sirène hurlante. Comme je n’avais pas entendu ce que la conductrice de la berline me demandait, je répondis une banalité.

- Non merci, je ne fume pas !

- D’accord, c’est bien…Mais c’est une clinique « clinique » ou une clinique « pas clinique », si vous voyez ce que je veux dire.

- Ben ouais, je comprends, je ne suis pas bête quand même ! C’est une clinique « un peu clinique » mais n’exagérons rien, elle est pas « trop trop clinique » quand même.

- Bon, je vous fais confiance ! Voilà, mon mari, monsieur Morteperse, a oublié sa serviette, il faudrait lui apporter. Prenez-la, elle est dans le coffre !

J’ouvris le coffre, il contenait une sacoche de cuir, une couverture noire et un torchon sale. Je pensais que c’était ce dernier qu’elle désignait par le mot « serviette ». Je le pris et fermai le coffre.

- Voilà, dis-je en lui montrant le torchon huileux. Alors, je donne ça à monsieur Morteperse !

- Non, vous m’avez mal comprise.

- J’ai écorché votre nom ?

- Non, ça, c’est un chiffon sale, vous le remettez dans le coffre et vous prenez ce que je vous ai demandé.

Je rangeai le chiffon et comme j’hésitais entre la sacoche de cuir et la couverture, j’essayai de gagner du temps en engageant la discussion sur un air sympathique.

- Ah ouais, je me disais aussi « Ben qu’est-ce que monsieur Morteperse va faire d’un chiffon ? Des travaux de plomberie ? Sans boîte à outils ? Ca paraissait assez difficile à avaler. »

- Vous n’avez pas l’air de savoir qui est mon mari. C’est lui qui a créé la soi-disant clinique. Un soir il est rentré et m’a dit « Chérie, il faut donner une couverture à l’agence ». Et mon mari est un homme de parole. Aussitôt dit aussitôt fait !

Sûr de mon choix, je saisis la couverture et, me mettant à quatre pattes, je me camouflai dessous. Longeant la voiture, je rampai jusqu’à être au niveau de madame Morteperse.

- Bouhou ! hurlai-je en me relevant. Je suis le fantôme de la nuit !

- Bon sang, tonitrua-t-elle, arrêtez de faire l’abruti !

- Excusez-moi, dis-je en découvrant mon visage, je vous embête alors que vous êtes une femme géniale, d’une générosité rare. Moi-même, à chaque fois que je téléphone à l’agence on me dit « Si tu pouvais ramener une couverture » ou encore « Eh J-J, on n’a jamais trop de couverture ! ». Mais, moi, ça me passe au-dessus de la tête puisque je ne mets jamais les pieds à l’agence. En gros vous êtes formidable et moi je suis un sale égoïste.

- Mais je me contrefous de vos états d’âme monsieur ! Les étalages de sentiments, ce n’est pas mon truc. Alors vous arrêtez vos pitreries, vous prenez la sacoche et vous la remettez à mon mari, c’est compris ?

A cet instant, je devins un autre. Pris dans une sorte de transe, je jetai la couverture au visage de madame Morteperse et, collant mon canon à l’arrière de son crâne, je signai mon acte dans un bruit étouffé.

« Prends la serviette ! ». « Prends la couverture ! ». « Prends la sacoche ! ». Je veux bien être gentil et rendre service mais il y a des limites à ne pas dépasser.

J’enclenchai les feux de détresse de la berline, je pris la sacoche dans le coffre et continuai mon chemin.

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